Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

vendredi, avril 10, 2015

Quand je n'ai pas de métier, suis-je quelqu'un ?

J'ai toujours bien réussi à l'école. Je n'étais pas sérieuse, mais j'ai une mémoire très efficace, très organisée, et j'ai vite compris les règles du jeu. Partout. A l'école, et pendant mes stages aussi. J'ai été diplômée en ayant l'impression de recevoir une distinction sans valeur. Parce que ça avait été trop facile. Parce que ça ne me paraissait pas sérieux. Et pour une autre raison que j'ai du mal à expliquer. Comme si ce monde auquel j'avais cru appartenir —l'école, les ingénieurs, les thèses— n'était qu'une blague, qu'en y entrant on pénétrait dans un univers construit pour vivre une vie de synthèse. Comme si ce monde —les cadres, la machine à café, les visible plannings— n'était qu'une invention destinée à maintenir un ordre innaturel.

J'ai fui.


J'ai donné naissance à une fille fantastique. Très intelligente, très vive, pressée de quitter sa situation de bébé. On peut dire que j'ai été mère au foyer pendant plusieurs mois. Cependant, pendant ce temps, j'ai créé une entreprise à mon nom. J'ai ouvert une salle d'étude et à présent des élèves viennent me demander conseil. Je les soutiens pour les assurer. Je leurs explique avec une joie non feinte ce que j'avais compris étant jeune et désabusée. Je me dis enseignante indépendante, mais je suis tellement libre dans mon programme d'enseignement que je n'ai pas l'impression d'exercer un métier. Mon unique contrainte est de satisfaire l'élève dans son processus d'apprentissage et de scolarisation. Je suis un distributeur de bons points et de confiance, est-ce une bonne situation ? Est-ce une situation ? Mon père se demande encore si je vais travailler un jour… Aux repas de famille, je ne fais jamais parti du tour de table "et le travail, ça va ?"

Un jour, j'ai écris un roman. J'ai appelé des imprimeurs pour l'éditer. J'ai recruté des correctrices pour en faire quelque chose de bien. J'ai un code ISBN pour mon livre, un essai de couverture brillante sur le bureau, le formulaire P2-P4 pour mon entreprise prêt à être rempli. J'ai un budget très précis, des projets pour faire vivre mon livre, j'en parle avec les yeux brillants. Mais encore, je suis extrêmement libre. Libre de tout, des couleurs, de la police, du logo, tellement libre qu'on croirait que je fais ça pendant mes temps libres. Ou en dormant.

Je me rappelle, à la remise des diplômes de mon école, les beaux jeunes gens en pantalon de toile et chaussures cirées, qui commençaient leur phrase, les lèvres humides contre le micro : "Je suis…" Je suis ingénieur service, je suis ingénieur chez EDF, je suis doctorant au G2elab… Tant de je suis qui ne voulaient rien dire et pourtant, ils s'y accrochaient comme des singes à leur branche. Parce qu'il parait qu'on est lorsqu'on signe un contrat de travail. Ni nos mains, ni notre esprit n'ont encore rien produit et pourtant… Comme un roman n'existe que lorsqu'il a été lu, je ne pouvais être ceci ou cela que lorsque j'avais accompli quelque chose pour l'être. Parce qu'il ne suffit pas de s'auto-proclamer.

Je jalouse parfois ceux qui ont un métier, cependant je sais pertinemment que je n'en tirerai aucune satisfaction. Mais maintenant, j'ai besoin de ne plus avoir à répondre lorsqu'on me demande des comptes ou ce que je veux faire plus tard, comme si j'étais encore à l'école. Je pourrais donner ma carte d'enseignante. Je pourrais vendre mon livre. Je n'aurais toujours pas de métier. Car j'ai la chance et le danger permanent d'être libre, sans convention collective, sans contrat, sans programme. On me dit que ce n'est pas viable à long terme. Je pense alors sans complexe au RSA. Et j'espère qu'un jour il ne faudra pas seulement être pour avoir le droit de vivre dignement, mais qu'agir, même dans son coin, même sans avoir de métier, même sans être reconnu, suffirait. Parce que la course à l'argent ou la position sociale me dénature. Parce que certains hommes ont encore trop envie de rêver. Comme moi, qui suis pourtant une femme.

Je n'ai pas les cheveux noirs, ni de livre à couverture rouge dans la main.

2 commentaires:

  1. Oui tout est question de liberté, c'est exactement ça ! Tu as pris la liberté de vivre selon tes désirs et non pas selon ce que la société attend de toi... je crois qu'on est de plus en plus nombreux à choisir cette voie. Et étant donné les pressions sociales, économiques et familiales, il en faut du courage pour tenir. Bel article, bravo !

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    1. Merci d'avoir lu mon article ! J'ai également l'impression que de plus en plus de gens décident de cette voie. Elle me parait plus humaine, plus moderne. Le privilège de choisir sa vie, nous l'avons en France, qu'il faut l'entretenir et le développer

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Céline.

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