Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

mercredi, décembre 30, 2015

Ne plus faire l'écho

Tout a filé si vite. J'ai fini par fermer l'évacuation de la baignoire. Ce n'était pas prévu mais même si j'aime prendre des douches longues, j'ai beaucoup d'estime pour l'eau qui coule et la retenir un instant de plus sous mes pieds était ce qu'il fallait. Et puis, lorsque l'eau en tombant faisait autant de bruit que l'extérieur, lorsque je n'entendais plus rien sous la pluie qui goutte, j'ai éteins le robinet et j'ai plongé mes oreilles sous l'eau.

Je voulais parler à mon père, de moi. Je voulais qu'il sache, qu'il se rende compte, un peu, au moins, combien je n'avais été jusque là qu'un écho. Combien il savait peu, combien nous étions loin l'un de l'autre. Et puis ça n'a pas marché. Je n'ai reçu que son angoisse, croissante, d'être devant une adulte comme moi, mes idées lui mettent la rate au cours bouillon, et il fallait que je me justifie, que je lui prouve que non, encore, que je n'allais pas me planter. Il a joué la culpabilité, celui qui sait plus... plus que quoi ou qui, personne ne se l'est demandé pourtant ça aurait été intéressant. J'ai cru un instant le toucher et finalement pas. Il a croisé ses bras et ses jambes, les fesses contre un meuble, ni debout ni assis mais encore au dessus de ma tête et il m'a dit : "Alors, vas-y, prouve moi que j'ai tort !" ou un truc dans le genre.


Parfois, tant qu'on n'a pas eu une reconnaissance internationale, un truc, voyez, où on ne peut pas faire mieux, il n'est pas possible d'être respectée toute entière. C'est bien connu : les pères ont le droit de juger et de critiquer et il ne faut pas gâcher ni ses compétences, ni ses capacités.

Mais après, essayer de comprendre que le perfectionnisme peut dépasser l'idée de carrière et de réussite, comprendre que le perfectionniste peut vouloir englober tout un être, c'est autre chose. Ca lui met pas la rate au cours bouillon, ça. Je suis énervée, fatiguée. J'ai plongé mes deux oreilles dans l'eau je vous disais et le monde entier est entré à l'intérieur.

Pendant tout le trajet en voiture, quand nous fuyons une maison où les portes se ferment à double tour dès qu'on en franchi l'encadrement, où les fenêtres et les volets et les rideaux doivent rester fermés au cas où quelqu'un (les herbes ? les sauterelles ?) voudrait regarder, j'avais comme le coeur enfermé dans un papier craft. Il en faudrait peu pour tout déchirer et me libérer mais j'aime encore les dessins sérigraphiés dessus pour tout briser comme ça. La compassion de ma maman, son envie de tout lisser, de tout simplifier jusqu'à ce que ça sonne presque faux. Son amour pour notre famille. Son plaisir à nous voir tous ensembles. Encore, heureusement. Ca, non ça ne se déchire pas. Je ne le veux pas, je l'aime trop. Je ne sais pas encore trop comment m'en sortir. Un problème remis à plus tard.

Pour le moment j'ai les deux oreilles sous l'eau et j'entends les voix graves des hommes résonner dans le plancher de la maison. Quand j'avale ma salive, le monde extérieur disparaît et il ne reste que moi et le bruit omniprésent de ma gorge qui se serre. L'univers revient en douceur autour de moi à travers l'eau qui respire et moi qui ne souffle plus, au fur et à mesure que les sons de mon corps s'apaisent et que ceux du monde enflent.


Je suis fâchée de ne pas exister comme je suis aux yeux d'une personne qui compte pour moi. C'est encore à moi de faire l'effort, encore, jusqu'à l'épuisement, et je trouve que ce n'est pas juste. C'est de l'acharnement thérapeutique. Sur mon être, pour m'ennormiser. Et il ne le sait même pas. Même si je lui ai dit, il ne le sait toujours pas. C'est manqué.

Je me retourne et je plie la surface de l'eau avec le bout de mon nez. C'est une sensation douce que je voudrais tenir. L'eau est belle. Tant qu'on ne va pas trop loin, elle ne craque pas. Il faut la respecter, et elle suit votre forme. De nez. De front. De joue. Avec la délicatesse de l'air, mais en plus frais parce que, comme je vous l'ai dit plus haut, je n'avais pas prévu de prendre un bain. Et j'ai présenté mon coeur à l'eau. Elle a gardé sa forme dans ses bras par milliers et elle a dissout le papier craft. Maintenant il me fait comme une peau gluante et collante. Je ne sais pas si c'est mieux, c'est juste quelque chose de différent à la dernière fois.

Des enfants il y a longtemps avait pris tous les jeux de leur lieu d'accueil pour me les apporter comme une offrande dans la cours de l'école. Je ne savais pas. Peut-être que si. Je n'avais rien demandé mais ça ne m'avait pas surprise. J'ai pris un peu et j'ai rendu l'essentiel. Si mon père savait, ce que c'est vraiment d'être aimée, admirée, adorée, sans avoir d'ami ou si peu que leur moindre minute d'absence me jette dans une solitude atroce mais que je connais déjà tant.

Aujourd'hui je suis en colère. Aujourd'hui je suis triste. Mais demain, je vais passez un joyeux réveillon parce que, sans culpabilité aucune, je vais chercher ailleurs ce que je n'ai pu trouver pleinement chez mes parents.

11 commentaires:

  1. C'est si incroyable ce phénomène observable: plus les personnes sont proches de nous, plus nous sommes dures avec elles. Enfin, je parle là de pas mal de gens. Un père dur, qui est totalement fermé à d'autres points de vue, mieux, qui pense que, de toute manière, par défaut, ce que l'on fait est mauvais, voilà de quoi faire mal à notre coeur de femme enfant.
    La vie est courte, j'espère que vous aurez l'occasion de toucher vos coeur avec les yeux.
    J'adore ton texte.

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    1. Merci Cendra, même si cet article a été écrit à chaud, j'étais assez contente du résultat : il etait fidele à mon etat d'esprit.

      Comme tu dis, cest presque toujours de la part de nos proches que les manques de compréhension et meme d'envie de compréhension nous touche le plus.

      Par hasard je suis tombee hier sur un article qui traitait de la relation parents-enfant. Ce magasine sans pretention m'a bien fait reflechir. Oui mes parents nont pas eu l'ouverture à mon égard dont j'avais besoin mais je me sens mieux en leurs pardonnant. Ils sont mes parents mais n'ont pas l'obligation d'être ceux qui me sauvent, me correspondent, m'aident.

      Comme si parce qu'un ami ne m'aidait pas comme je le voudrais je decidais de mettre une croix sur notre amitié. C'est insensé.

      Finalement je n'en veux pas à mon père, j'irai chercher l'aide dont j'ai besoin ailleurs. Tout simplement. Et je ne regrette pas d'avoir essayé.

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    2. Il m'intéresse grandement cet article de magazine dont tu parles ! Y a-t-il moyen de le trouver ?

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    3. Bonjour Fanny,
      Il s'agit du magazine Flow, c'était le numéro de cet été. Il me semble que l'article en question est indiqué sur la couverture, mais je ne suis plus sûre. Si tu as besoin, je peux me débrouiller pour t'envoyer une copie, mais ce sera d'ici plusieurs semaines.

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    4. Mince ma réponse n'a pas marché apparemment. Je suis preneuse, merci beaucoup ! Mon adresse mail c'est la messagerie google et fanny.vert avant l'arobase ;)
      Encore merci, je ne trouve quasiment rien sur le sujet, alors que je sens que j'ai un cap à passer..

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  2. Oh... je t'embrasse, très fort... Mon mail, quand tu veux. Des bisous, des doux et des explosifs.

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    1. Merci Ambre. Nos échangent ravissent mes journées. Bisous.

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  3. Qu'il est dur de ne pas trouver la chaleur dont nous avons besoin auprès des personnes sensées nous aimer sans fixer de condition.
    J'ai connu ce sentiment de ne pas être à la bonne place, de devoir se justifier sans cesse. Les mères, souvent, cherchent à arrondir les angles, pour ne pas se priver de ce qui compte le plus à leurs yeux.
    J'espère sincèrement que vous arriverez un jour à vous parler, au moins avec des gestes, si les mots ne peuvent sortir. Car sinon on se traine ce silence pendant longtemps et il gâche un peu de notre vie...
    Douces pensées en cette fin d'année.

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    1. Le silence je crois traîne derrière nous et meme si nous ne nous comprenons pas, nous avons chacun émis la volonté d'exister sans concession. Je vois peu mes parents, nos relations évoluent en pointillés, nous verrons ce que l'avenir nous reserve.

      Mon papa a souvent besoin de temps. Je dis quelque chose, il me renvoie souvent un peu de mépris et quelques miis après j'observe un changement... naturel, comme s'il venait de lui ! Cest magique et je croise un peu les doigts :-)

      Merci pour ton message!

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  4. Salut Céline,

    Je vois qu'à peu de choses près nous sommes beaucoup à ressentir cela lors des fêtes de fin d'année :-)
    C'est toujours en famille que c'est le plus difficile parce que les masques, les "rôles" sont définis depuis longtemps et que certains ne veulent pas voir que d'autres ont changé et persistent à voir en eux le masque...
    La clef je pense est de ne pas vouloir chercher la reconnaissance dans le sens où que t'importe-t-elle si quelqu'un dont tu n'estimes pas particulièrement l'esprit (visiblement) reconnaisse l'être que tu es ?
    C'est difficile d'en arriver à penser cela mais c'est personnellement le chemin que j'ai fait : je sais ce que je vaux, ce que je fais, je ne cherche pas de validation par mes pairs, d'autant moins s'ils ce sont des pairs reliés à moi par le sang et non pas par l'esprit...
    c'est très difficile bien entendu mais nécessaire je pense pour ne pas... se mettre la rate au cours bouillon ^^

    Bise.

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    1. Bonjour Sabrina,
      A vrai dire, aujourd'hui je suis assez triste pour mes parents, ils passent sans pleinement s'en rendre compte à côté d'une belle relation que j'étais prête à entamer avec eux. J'ai fait un pas, qu'ils ont tous les deux refuser (à leur façon chacun) de reproduire dans ma direction.
      Ton commentaire est très juste lorsqu'il parle de reconnaissance. De la reconnaissance aujourd'hui j'en ai un besoin quasi viscéral. Car j'ai encore du mal à me reconnaître moi-même, j'espère que les autres feront ce travail pour moi.
      C'est très probablement vain.
      Merci pour ton message. A bientôt.

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Céline.

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