Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

samedi, janvier 09, 2016

Peindre au rouleau

Hier après-midi je peignais au rouleau. C'était la première fois. J'avais un rouleau, mon pot de vernis, et une tablette avec un réservoir sur la largeur comme si j'étais une vraie peintre en bâtiment. Je n'avais jamais peint de cette façon. Jamais avec tant de matériel. Jamais si loin de la matière. Peindre au rouleau est assez curieux. On ne sent pas les nervures du bois, on ne sent pas les poils se plier, le coeur ne se serre pas lorsqu'une goutte tombe sur le panneau. Le rouleau passe, roule sur le bois, laisse une trace parfaite derrière lui. Fine, régulière, industrielle. J'ai regretté un instant de ne pouvoir y mettre de moi, dans cette peinture. Je n'étais rien face au rouleau, il passait, je lui tenais la poignet et il peignait devant moi. Il peignait à sa façon, à la façon d'un objet fait pour ça, à sa manière, sans bavure. J'étais spectatrice de son travail.

Vous voyez mes super outils de peintre ?

Mais c'était ce que nous voulions. Nous voulions des panneaux sans défaut, à l'aspect professionnel. Je n'avais rien à voir là dedans. On ne me demandait pas de peindre, avec ma sensibilité, on me demandait de passer le rouleau. Et le rouleau passait. Je faisais preuve d'une humilité nouvelle en peignant ainsi. L'humilité de celui qui accepte de se retirer pour que le résultat soit meilleur que s'il s'était impliqué.

C'était fou. C'était comme si je demandais à l'un de mes élèves de me laisser faire pour qu'il ait une meilleure note à son devoir-maison.

Le résultat passait avant l'acte, avant la réalisation d'un être.

Quelques heures auparavant, l'Explorateur et moi avions parlé avec notre voisine. La voisine avait dit que c'était contre moi qu'il en avait, parce que je l'avais attaqué. Moi, attaquer quelqu'un ? Vraiment ? Mais comment ? Comment quelqu'un avait-il pu en prendre autant de moi qui en donne toujours si peu ?

Cela fait si longtemps que nous étions fâchés. Je préfère ne plus avoir à lui parler, je suis persuadée que la parole, franche et sincère de ma part, n'y ferait rien. Alors je laissais les choses ainsi, durer, perdurer. Et je sais que les larmes de ma voisine sont toujours au bord de ses yeux. Car elle n'aime pas cette vie là. La lourdeur d'une guerre entre personnes, d'une guerre bête et inutile. La séparation pesante entre deux familles qui se font la tête. Et elle, elle qui veut garder ce contact, entre les deux, obligée de tout supporter, la douleur des uns et la douleur des autres.

Et pourtant, je le sais bien, la paix ne vient que lorsque les souffrances des deux parties est reconnue. Même lorsqu'il s'agit de la douleur du méchant.

Et si j'apprenais à passer le rouleau ? Et m'écarter un peu, à écarter un peu qui je suis, ce que je crois, pour laisser une place à la douleur de mon voisin. Pour faire les choses parfaitement, sans bavure, sans défaut. Il a pris ce qu'il a voulu, c'est vrai, il a voulu ce fâcher et m'agresser pour ça, il l'a voulu, c'est vrai, mais si un début de paix était juste à ma portée malgré tout. Malgré les bêtises, malgré la violence. Malgré en fait tout ce qui me rebute. Je ne m'oublie pas vraiment, non, je passe le rouleau.

Alors j'ai écris un petit mot. Je me suis excusée pour ce qu'il avait pris de moi de mauvais, même si je n'avais pas donné tant. Et je lui ai demandé en échange du respect et de la tolérance.

Si ça avait été vraiment moi, je n'aurais rien demandé contre mes excuses. Je ne demande rien, je prends ce qu'on me donne. Mais puisqu'il avait pris une attaque là où je ne mettais que de la malice, puisqu'il ne donnait rien là il fallait tout, je me suis dit que je pouvais demander, que je pouvais me mettre à son niveau.

J'ai mis le mot sous la grenouille de son perron. Le mot a été avalé chez lui. La voisine s'est arrêté à notre hauteur. Elle voulait me parler, je me suis fermée, je ne voulais rien recevoir d'autre, rien recevoir de ce qui ne m'appartenait pas.

Et vous savez quoi ? Je crois que depuis ce mot, ce mot écrit de ma main mais qui est si peu de moi, l'atmosphère de la maison s'est soudain apaisé. La voisine a emmené ma fille chez elle, comme avant. Vous savez quoi ? Je crois que je sais peindre les personnes au rouleau maintenant.

4 commentaires:

  1. "Peindre les personnes au rouleau" il fallait y penser, tu l'as fait... Très joliment écrit :) Bises.

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    1. Merci Aileza. Contente de voir que tu es passée par ici et que l'article t'a plu ! A bientôt :-)

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Céline.

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