Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

mardi, janvier 19, 2016

Préparation pour vendre au porte à porte

C'est l'histoire d'un petit enfant qui ne voulait pas froisser le monde. Il était sensible à la moindre ride, à la moindre tache, aux prémices de désaccord et de tristesse. Il pleurait en voyant les sacs plastiques pris dans les branches des arbres, il pleurait lorsqu'il entendait les insultes, l'agressivité qui fusait parfois ici et là autour de lui. Il était bien décidé à ne pas y mettre sa patte, dans toute cette laideur insensée. Il avançait à pas de loup, il parlait peu, il avait bien compris qu'avoir réponse à tout n'était pas ce qu'on lui demandait et il était d'accord avec ce qu'on pensait de lui : pour qu'un paysage soit équilibré, beau, il ne faut pas qu'un lampadaire géant prenne toute la place.

On lui demandait parfois, par politesse je crois, quels étaient ses goûts. C'était une question terrible pour lui. Comment préférer ? Pour préférer, il faut tout connaître et ressentir quelque chose de plus pour un élément en particulier. Retirer l'utilité et le sens de tout le reste, artificiellement, reconnaître une supériorité quelconque pour une dimension donnée. Choisie arbitrairement ? Le petit enfant haïssait cette question. Il savait en même temps qu'il ne pouvait rien reprocher à personne, pour une fois qu'on s'intéressait à lui, il vexerait s'il disait que cette question ne le passionnait pas !

Alors le petit enfant répondait toujours en miroir. Il n'avait aucune préférence, jamais, et savait que s'il répondait mal, il n'aurait plus de connexion avec la personne qui l'interrogeait. S'il n'aimait pas la même chose que l'autre, si ce qu'il préférait ne lui parlait pas, c'était fini. Il aurait vexé quelqu'un, il aurait creusé un écart… alors le petit enfant répondait toujours en miroir. Il était doué. Il savait toujours quelle réponse on attendait de lui. Et le reste du temps il se taisait.

Un jour, ce petit enfant se trouva fatigué. On lui demandait soudain quelle était sa couleur préférée. Ils étaient en groupe. Tous contre lui, avec leur rouge et leur bleu, parfois violet et turquoise, tout un groupe contre lui. Son coeur s'accéléra. Il voulait ne pas répondre mais les sourires de ses adversaires lui montraient bien qu'il ne pouvait pas fuir. Il aurait voulu dire “Je n'ai pas de couleur préférée.” mais c'était impossible, n'est-ce pas ? Ils ne l'auraient pas compris.

Alors très vite il calcula. Quelle était la couleur la moins plébiscitée ? La plus rare dans le coeur des gens ? Cette histoire remonte à quelques années déjà (je pense que les goûts ont changé depuis) et la réponse lui sauta aux yeux. Il regarda toutes les personnes qui courraient et discutaient autour de lui, il définit pour chacun leur couleur préférée. Bleu, rouge, violet et turquoise parfois mais jamais… jamais… Et s'il tentait d'être rebelle, un peu marginal, juste une petite fois ?

“Je préfère le vert !”

Les regards ahuris autour de lui lui apprirent qu'il avait fait mouche. Personne n'avait encore pensé à préférer le vert. Il lut des regards admiratifs. Il lut des étincelles d'espoir ici et là. Ainsi donc il y a d'autres couleurs à aimer ? Je ne suis pas obligé de me tenir au rouge et au bleu, au violet et au turquoise ? Le petit garçon était mal à l'aise. Il se pensait toujours insignifiant et voilà que soudain, parce qu'il avait menti sur ses goûts, il se retrouvait au dessus du lot. Avec un petit pas grand chose. Un petit pas grand chose qui ne prouvait rien sur lui.

Mais c'était si facile soudain. Il avait trouvé sa réponse. Une réponse qui lui convenait, mais ce n'était pas la vérité. La vérité c'est qu'il voulait vivre dans un monde où il n'y aurait pas ce genre de préférences, où les hommes et les femmes regarderaient toujours dans toutes les directions, dans le passé et dans le futur, dans les sentiments, dans les impacts.

Cependant, son coeur s'ouvrit un peu. Le monde entra en lui. En secret. En fanfare, mais dans une fanfare que lui seul pouvait entendre.

- Jati Putra Pratama -
Etre prêt à s'aliéner pour toucher son monde ?

Je me demande maintenant ce qu'il se passerait si ce petit enfant osait enfin parler, qu'est-ce qui se passerait si ce petit enfant disait la vérité ? Ce qu'il sait, ce qu'il ressent… On ne l'écouterait plus, c'est vrai, mais existerait-il mieux ? Faut-il apprendre à se taire, pour être compris, apprendre à donner une préférence pour vivre ici ? Ou être soi-même est-il préférable ?

Je me demande juste s'il faut dire à ce petit enfant de continuer à mentir ou s'il peut se permettre de dire la vérité. Car je fais l'analogie entre lui et moi. Les années ont passé mais les choses n'ont pas beaucoup changé depuis. Peut-être qu'il est adulte maintenant ce petit enfant, peut-être même a-t-il des enfants, comment vit-il ? Comment les aime-t-il ?

Vous le savez sûrement, j'ai écris un livre il y a un an. Ce livre, je voudrais le vendre. Mais je suis embêtée car pour le vendre, je dois me montrer moi, mais pour ce faire dois-je mentir ou dire la vérité ? Dire que je l'ai écrit en quelques semaines à peine ? Dire que j'ai à peine fait de recherches ? Que j'ai tout inventé et que tout parait vrai, c'est sûr, pour moi ça l'est aussi très bien, mais en fait tout est le fruit de mon imagination. J'ai peur de rencontrer quelqu'un qui a déjà voyagé en Mongolie, qu'il me dise : c'est de grosses conneries votre affaire. Il aurait raison d'un côté, parce que ce que j'ai écrit ne doit pas tant ressembler à la Mongolie telle qu'elle est pour quelqu'un qui y a vécu, mais cet homme m'insulterait inutilement. Je n'ai jamais eu pour vocation d'écrire quelque chose de vrai au sens où on l'entend : de tromper qui que ce soit.

“Mais tu as dû faire pas mal de recherche pour écrire ça, non ?”

Je vous avoue, j'ai commencé à mentir. J'ai fait comme ce petit enfant, j'ai préféré le vert. Et je me sens mal. Je n'ai plus reparlé de mon livre à personne ensuite. Je n'étais pas à ma place. Je voudrais dire la vérité, mais quand je dis ce qui est vrai, je suis incomprise. Ce n'est pas une idée que je me fais, je suis vraiment incomprise.

Cette après-midi je vais commencer mon porte à porte pour vendre le Souffle. Et je vais lister ici la vérité, pour m'y tenir, et pour qu'elle soit dite en français, dans une langue commune.

- Jati Putra Pratama -
Moi qui fait du porte à porte…

Tout est inventé, mais tout est vrai. C'est le travail d'un romancier. De faire surgir la vérité plus forte qu'elle ne l'est déjà, en s'échappant de ce qu'on pourrait appeler un mensonge, oui, mais ce n'en est plus un parce que la vérité pure le survole. J'ai écrit sur des choses que je ne connaissais pas, mais ça ne m'a pas empêché de les écrire. J'ai vérifié parfois, quand tout me paraissait invraisemblable, et à chaque fois je disais vrai.

Je l'ai écrit rapidement, car je suis ainsi : très productive, très rapide. Ca ne veut pas dire qu'un livre doit s'écrire en si peu de temps. Je l'ai simplement fait ainsi car c'est ma façon de travailler. Je suis intense et rapide.

Mon livre a été relu plusieurs fois avant l'impression mais il est vrai que j'ai tout fait moi-même. La mise en page, la couverture, la 4ème, parce que c'est aussi ma façon de travailler. Je suis directe et polyvalente et je voulais tout apprendre. Ca m'a parut facile, je ne dis pas qu'un professionnel aurait fait la même chose, je dis simplement que c'était à ma portée.

Dit comme ça, tout parait plus simple. Mais il fallait que je le sorte une fois pour toute avant de me lancer. Aller, je m'habille et je vais marcher dans la neige (si belle !) pour présenter ce livre. En étant juste ce que je suis.

6 commentaires:

  1. Je crois qu'être soi est la clé du succès Céline. Même si ça ne plait pas à tout le monde. Même si tu as l'impression de ne pas être comprise, même si tu as l'impression que ton œuvre n'est pas appréciée à sa juste valeur.
    Mentir peut aider un temps mais on se perd vite dans ce monde inventé. On se perd soi surtout.
    Sois fière de ce travail réalisé. Tu as osé te lancer dans l'écriture d'un roman, ce n'est pas rien. C'est un acte audacieux. Tu as eu le cran et je suis certaine que nous sommes nombreux à nous dire "quel courage" ou encore "bravo".

    C'est une histoire inventée et alors? Tu n'as jamais dis qu'il s'agissait d'une histoire vraie. C'est ton roman, ton approche d'un sujet qui te tenait à coeur. Beaucoup de choses m'ont fait réfléchir en te lisant. Quelque chose a changé en moi. C'est te dire que ton roman a du poids, qu'il nous ouvre la voie vers une nouvelle page de notre histoire.

    Moi je te dis merci de l'avoir écrit. Va à la rencontre du monde et ne leur vend pas ce qu'ils veulent entendre. Donne leur de toi. Car des échanges authentiques, c'est de ça dont le monde à besoin aujourd'hui!

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    1. Merci Marie pour ce merveilleux message qui m'a donné bien du courage ce soir lorsque je suis sortie pour le porte à porte. Je n'ai pas menti une seule fois. Je n'ai forcé la main à personne mais je n'ai pas laissé tomber au premier "Non, ce n'est pas pour moi…“ On me demandait : "Mais c'est une histoire vraie ?" et j'ai trouvé ma réponse : "C'est de la fiction, mais c'est raconté comme si c'était vrai." Et j'étais contente de moi. Ce soir je suis contente de moi et ça fait un bien fou !! :-)

      Les gens m'invitaient chez eux et me racontaient leur vie sans que je ne demande rien. C'est assez incroyable. Au final j'ai vendu 5 livres ce soir, j'espère en vendre autant demain (je continue à cogner aux portes du village).

      Merci d'avoir lu tout ce loooong article qui m'a bien fait avancé. Tout est plus doux lorsqu'il est partagé.

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  2. Incomprise ou fascinante? Personnellement je suis plutôt fascinée par ta productivité, alors soit toi, dis la vérité, elle est si belle!

    Le vert a toujours été ma couleur préférée <3

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    1. Productivité… j'ai l'impression de gâcher ce que j'ai plutôt. Si je mets si peu de temps pour écrire un livre, je n'ai pas recommencé l'exploit. Finalement, je vais écrire un roman tous les 2 ans si ça continue. C'est pas terrible comme productivité ça.

      Tu aimes le vert toi aussi ? Je commence à apprécier l'orange de mon côté. Cette couleur a un son très généreux, plus léger que le rouge, il agit en surface… Enfin, il n'a pas, c'est vrai, toute la sagesse du vert mais sa perspicacité naïve me touche.
      Le vert est une très belle couleur, je suis triste qu'on ne la cantonne qu'à cette teinte tendre très à la mode dans les marques "écolo".

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  3. Ce que j'aime, quand je lis un roman, cela va au-dela de la thématique. C'est le choix des mots, leur sonorité, les tournures de phrases . La prose des grands auteurs est si poétique. Quel plaisir de lire des phrases où le rythme contribue à l'histoire.
    Evidemment, il a y la réflexion, les idées. Il y a toujours plusieurs niveaux de lecture dans un livre.
    Je ne sais personnelemenent pas me "vendre". Mais ce que j'ai compris des stratégies commerciales, c'est qu'il faut raconter une histoire et y mettre sa passion. Parlez passionnement et faites briller les étoiles dans vos yeux!

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    1. C'est ce que j'apprends actuellement : à communiquer sur ce qui me passionne, à en dire suffisamment mais pas trop pour ne pas noyer la personne qui m'écoute. Ce n'est pas aussi facile qu'il n'y parait pour moi, se mêle inconsciemment la recherche de ce que je suis, de ma place. Et une remise en question permanente de la perspicacité de mes propos. Est-ce que j'invente, est-ce que je veux faire croire, ou est-ce que je dis la vérité dans les oreilles de mon interlocuteur ? La distinction entre ce qu'on croit dire et ce qu'on croit avoir transmis me fait longuement cogiter…
      Je crois aussi que les mots d'un roman vont au delà de l'histoire et du sujet, c'est une chose délicate à résumer lorsqu'on nous interroge sur la question.

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A bientôt !
Céline.

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