J'étais dans les rayons de la bibliothèque à la recherche d'inspiration. C'était écrit Psychologie sur l'étagère, juste avant Subconscient, même pas Psychologie Cognitive sinon c'était sûr l'Explorateur en me voyant m'aurait dit : « Ah non ! Pas encore ?! » alors j’évite. Mes yeux lisent et je ne les surveillais pas j’vous assure lorsqu’ils se sont arrêtés sur les mots intelligents. Deux fois dans le titre : Intelligents, trop intelligents. Ah ?… Et puis surdoués. Voilà, la machine à cogiter s’est remise en marche.
J’ai pris un autre livre du rayon, j’ai mis un livre par dessus l’autre pour faire mine de rien (oui, oui, François aime mes obsessions mais il ne me le fait pas toujours savoir) et j’ai passé les deux titres dans la bouche de la machine a emprunté les ouvrages. Et je l’ai lu très vite —celui de Carlos, avec curiosité au début et puis avec… un enthousiasme non mesuré.
Carlos Tinoco est enseignant de philosophie et psychanalyste. Il a été testé et confirmé HPI très jeune. Autrement dit : il a eu du temps et de la matière pour réfléchir au sujet. Qu’est-ce que la douance ? Pourquoi ? Comment ? Certain diront (peut-être comme l’Explorateur) un truc du genre : « Quoi encore un livre sur le sujet, c’est à la mode ou quoi ? » mais ceux-là ne savent peut-être pas que la douance est très mal définie, même par les experts du sujet, très mal comprise, même par les experts, et il suffit de lire plus d’un ouvrage sur le sujet pour s’en rendre compte. Donc, oui, un autre, et pas des moindres.
Je ne vais pas faire de faux suspens : le livre de Carlos Tinoco m’a beaucoup plu, parce qu’il a apporté une nouvelle pierre à mon édifice. Il est différent des ouvrages des psychologues ou des autres pseudo-psychologues qui ont décidé de traiter le sujet. Il n’a pas pour vocation de décrire le surdoué, ni d’apprendre à le reconnaître, ni même de donner des méthodes pour bien communiquer avec lui, le comprendre… Je dirais que le livre Intelligents, trop intelligents est une réflexion personnelle bien menée et bien écrite. Je l’ai lu en me plaçant d’égal à égal avec l’auteur et il me semble que c’est de cette façon qu’il faut aborder l’ouvrage. Non pas prendre Carlos comme un maître, pas comme quelqu’un qui est là pour vous apprendre quelque chose, mais comme quelqu’un avec lequel il est plaisant d’échanger sur le sujet de la douance et de l’intelligence parce qu’il s’est déjà formé une belle idée. Ce livre est donc à lire de la même façon que vous auriez pu lire ma propre Théorie de l’intelligence (parue en février 2016) ou avec le même recul dont vous auriez fait preuve pour écrire votre propre théorie. Evidemment, Carlos Tinoco emploie des termes psychanalytiques, il centre une bonne partie de son ouvrage sur l’éducation, mais que pouvons-nous y faire ? Ce sont ses métiers, on va pas empêcher à un tennis man de faire des métaphores avec sa pratique, n’est-ce pas ?
Dans le livre de Carlos il y a de la nouveauté. Est-ce d’ailleurs parce qu’il est enseignant et psychanalyste… ? Une nouvelle perspective, quelque chose que je n’ai lu chez aucun autre auteur : la question des règles implicites. L’éditeur parle d’un renversement de perspective et je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas un renversement, non ce n’est pas cela et dommage parce que c’était vendeur, Carlos Tinoco parle d’un point très peu abordé lorsque l’on discute de la douance et le place au coeur même du problème. Ce que Carlos Tinoco appelle la Loi, il s’agit peut-être d’un terme psychanalytique mais il l’explique très bien, fonderait la différence entre une personne surdouée et une autre qui n’a pas cette caractéristique. Tandis qu’une personne dite normale l’intègre à son mode de pensée et de valeurs, le surdoué serait naturellement capable de la remettre en question et même de jouer avec elle.
La Loi n’aurait alors pas la même importance pour le surdoué que pour la personne normale (hein, je mets en italique parce que bon : qui est normal ? par là, j’entends ici non-surdouée) et ne pourrait donc pas lui épargner l’Angoisse de la mort. C’est psychanalytique, mais on en fait ce qu’on veut, je vous l’avez dit au début.
Je ne vais pas paraphraser Carlos parce qu’il raconte tout cela très bien dans son livre, je vais simplement donner un exemple proposé par l’Explorateur : Prenez une recette quelconque. Voici ce que François a observé lorsque je cuisine :
- Séparer les blancs et les jaunes
- Pourquoi ?
- Monter les blancs en neige
- Ca monte pas quand il y a les jaunes, c’est vrai que c’est ce qu’on dit, mais est-ce vrai ?
- Mélanger 150g de farine avec les jaunes.
- ??? (grosse interrogation de ma part… là, je suis perdue)
- Incorporer les blancs dans le mélange.
- Pourquoi cet ordre ? Pourquoi cette quantité de farine ?
- Ajouter le sucre en pluie.
- Pourquoi pas avec un puits ? Pourquoi seulement maintenant ?
- Tralala, la recette continue de donner ses ordres dans une anarchie totale…
- Et moi je lis tout très très calmement…
Ca se termine toujours pareil. Je fais autrement que ce qui est écrit. Et François s’arrache les cheveux.
- Incorporer les blancs dans le mélange.
- Pourquoi cet ordre ? Pourquoi cette quantité de farine ?
- Ajouter le sucre en pluie.
- Pourquoi pas avec un puits ? Pourquoi seulement maintenant ?
- Tralala, la recette continue de donner ses ordres dans une anarchie totale…
- Et moi je lis tout très très calmement…
Ca se termine toujours pareil. Je fais autrement que ce qui est écrit. Et François s’arrache les cheveux.
Je ne suis pas certaine que cet exemple illustre exactement les propos de Carlos Tinoco mais je trouve de mon côté que ce n’est pas si mal trouvé. Et cette petite explication (la Loi, l’Angoisse, toussa toussa) répond à grand nombre de mes questions : pourquoi est-ce que je ne fais pas toujours comme tout le monde et que je suis véritablement paniquée lorsque je me retiens de faire autrement (quand je joue le jeu) et même lorsque je vois les autres répondre à cette Loi sans avoir l’idée d’y réfléchir en permanence ? Dans ma tête —et j’ai compris récemment que cela ne concernait quasiment que moi— toutes les possibles sont toujours possibles et non seulement celles qu’on, le monde ordinaire, te propose. J’appelle ça : remettre en question l’établi.
Voilà pourquoi dit-on que les surdoués sont trop, ou à côté. Ils ne vivent presque jamais dans l’établi.
J’ai aussi particulièrement aimé la façon dont Carlos se défait du tabou de la comparaison et de la classification. Il est simplement passé au dessus. Son raisonnement va au delà et c’est une belle bouffée d’air frais !
Cependant, j’émets ici une réserve, il me semble qu’il confond la cause et le fonctionnement. Autrement dit : je n’ai pas aimé son chapitre Inné ou acquis, il ne m’a pas convaincue du tout, et j’ai été bien gênée à chaque fois que ses propos y faisaient tacitement référence. Le fait que le surdoué soit capable de se placer à la hauteur de la Loi est pour Carlos Tinoco la cause de la douance, c’est ce processus qui ferait le surdoué, cette non inhibition dans les possibles. Ce n’est pas logique du tout, et cela fait un peu raisonnement qui se mort la queue. Quand j’ai lu ceci, je me suis posée la question suivante : mais alors, quelle est la première pensée, question, idée, hors cadre qui crée le surdoué pour ensuite lui fournir cette possibilité pendant la vie entière ? Et pourquoi lorsqu’une personne normale réussit à avoir une connexion hors cadre, ne devient-elle pas soudainement surdouée ?
Alors, non, je n’ai pas jeté le livre en disant : c’est n’importe quoi, c’est pas sérieux, patati patata, non, j’ai continué ma lecture et j’ai vraiment bien fait car j’ai lu une belle réflexion sur l’éducation, même si elle n’avait rien de novateur pour moi, et surtout une leçon de communication, leçon dont j’avais cruellement besoin. J’avais déjà trouvé une piste de réponse dans le livre de PetitCollin avec ce schéma :
mais, ce n’était ici qu’un principe de management, il n’expliquait pas grand chose pour moi et n’était pas toujours démontré par mon expérience. Carlos Tinoco dans le chapitre La folie de l’autre propose une idée bien plus complète et plus réaliste à mon humble avis.
Voyez deux personnes l’une en face de l’autre qui tentent de communiquer. Elles font appel à la Loi pour communiquer à propos d’un objet. Objet, action, sentiment… mettez-y ce que vous voulez. Grâce à la Loi, elles se comprennent. Moi, quand je vois les gens faire ça, je décroche. Je m’ennuie. J’angoisse. Pour moi, pour eux. Parce que voilà mon schéma de communication : Voyez deux personnes l’une en face de l’autre, qui observent un objet. Elles expriment chacune ce que représentent l’objet pour elles de façon à faire apparaître une Loi qui leur convienne. Voilà. Cela peut effectivement ressembler à une discussion centrée sur les croyances ou les valeurs ou même l'identité (comme le dit madame PetitCollin) mais non, ce n’est pas exactement ça. Ce que PetitCollin n’avait pas imaginé c’est que le problème est hors cadre. L’ordre ne s’établit que si on l’intègre parfaitement. Ce n’est pas un problème en pyramide, donc hiérarchisé, c’est une boucle qui est inversée.
Voici donc un article qui n’a pas pour but de vous présenter le livre Intelligents, trop intelligents — sans ponctuation cela veut bien dire ce que ça veut dire : ni question, ni réponse ; une réflexion qui s’aboutira à la lecture de chacun — mais de, peut-être, lancer une discussion sur le sujet. Alors, vous êtes prêts à entrer dans cette lecture ?
Pas trouvé en epub, flûte.
RépondreSupprimerPar contre, c'est un raisonnement que nous nous sommes déjà fait avec LeChat, une évidence pour nous, dans le sens par contre "parce que surdoués on est capable de remettre en cause" et non l'inverse ; tout comme toi, l'inverse me semble complètement incohérent. Je ne comprends même pas qu'on ai pu le penser dans le sens "cause de la douance" ^^' (Non que je pense avoir raison, juste que le raisonnement m'échappe).
J’espère que tu le trouveras dans une bibliothèque alors, même s’il n’est pas très scientifique, il vaut la peine d’être lu !
SupprimerOui, j’étais très déçue par ce chapitre "Inné ou acquis". J’espérais y trouver quelque chose de nouveau et puis… pour moi c’est carrément une bêtise. Même une dangereuse bêtise. Enfin.
De mon côté, la remise en cause est quelque chose de nouveau, je ne pensais pas que cela pouvait être flagrant à ce point. Carlos Tinoco éclaire nombre de « caractéristiques » des surdoués avec ce principe, c’est très intéressant dans l’ensemble.
Maintenant, pour se moquer gentiment, François me fait remarquer à chaque fois que mon désir d’autonomie et mon besoin de tout questionner se fait sentir. Je te disais que j’étais sans question, je crois maintenant que ce n’est pas vrai du tout. J’ai l’impression, maintenant que je me regarde avec cet oeil neuf, que tout est une question pour moi.
Nous nous rejoignons désormais là aussi alors, pour moi également, tout est question (ce n'est pas reposant ^^")
SupprimerAh ! Je ne suis pas certaine d’atteindre ton intensité de questionnements :-)
SupprimerJ'ai aussi beaucoup aimé le livre de Tinoco, allez l'écouter en conférence si vous en avez l'occasion, il est brillant. Il va sortir un autre livre "inadaptables" prochainement.
RépondreSupprimerSon livre m'a amenée à lire Olivier Houdé pour qui le fait de résister (cognitivement) serait la source de l'intelligence.
http://www.scienceshumaines.com/apprendre-a-resister_fr_33403.html
Qu'en pensez-vous ?
Je n’ai pas lu le livre de Olivier Houdé mais j’ai déjà entendu parlé de ce qui est nommé « inhibition » dans l’article que vous avez joint. Il s’agit d’un tris que le cerveau effectue afin de privilégier les bonnes pistes. Ce phénomène est, d’après ce que j’ai retenu sur le sujet, absolument nécessaire au bon fonctionnement de notre cerveau. Qu’il soit à la source de l’intelligence, je ne sais pas, mais il fait parti des indispensables (si dispensables il y a… ^^)
SupprimerIl faudrait vérifier la correspondance entre l’ « inhibition » évoquée par Carlos Tinoco et celle de Olivier Houdé, mais je n’avais pas pensé qu’il puisse véritablement s’agir de la même. Carlos Tinoco parle du fonctionnement que je qualifierai « macroscopique », c’est à dire de ce qu’on observe à l’échelle d’un individu. Il n’est pas garanti du tout que ce soit lié avec l’inhibition à plus petite échelle au niveau des neurones.
Je pense à un exemple concret : en travaillant avec ma fille ce matin, j’ai été confrontée à un petit problème. L’exercice qu’elle effectuait consistait à retrouver des crabes sur une image. Cependant, il y avait aussi des crabes sur la page qui faisait face à celle de l’exercice et par soucis d’exhaustivité, ma fille a entouré tous les crabes des deux pages, donc même ceux qui ne faisaient pas parti de l’exercice. Il y avait ici un manque d’inhibition, elle n’a pas compris la règle tacite : entoure les crabes mais seulement ceux de l’image de l’exercice. Mais son inhibition microscopique (l’indispensable au fonctionnement des neurones) est je pense tout à fait opérante parce qu’elle a su admirablement faire le tri avec tous les autres éléments de la page.
C’est je pense une précaution à prendre lorsque l’on lit ce genre de littérature. Les auteurs partent d’une constatation microscopique, relevé par IRM ou autres… et en déduisent des choses macroscopiques. Mais la relation entre les deux n’est jamais vérifiées.
Enfin, le livre de Olivier Houdé mérite surement d’être lu. Je surveillerai les entrées de la bibliothèque :-)