Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

mardi, août 23, 2016

Il est parti

Il est incroyable de voir comment tout peut partir si vite en fumée. Nos certitudes s’envolent, nous remettant par le fait à notre place. Les choses se sont déroulées trop vite, je n’ai rien compris. La matinée était pourtant bien partie. Nous nous aimions, nous avons fait route vers Fontainebleau pour prendre une baguette de pain avant de nous rendre à la piscine.

Je suis descendue du camion, deux euros dans la paume de ma main. En entrant dans la boulangerie, un vendeur m’a tout de suite demandé ce que je voulais. Je n’ai pas eu le temps de lire les étiquettes, j’ai dit ce que je voyais, on m’a donné le pain, on m’a rendu la monnaie et j’ai fait demi-tour.



Le camion partait dans la rue. J’ai couru pour le rattraper. Une voiture le suivait mais enfin, il allait bien me voir ! J’ai couru plus vite, le camion m’a, semble-t-il, accéléré. Mon chapeau de paille s’envolait, je le retenais d’une main, les 70 centimes de monnaie coincés entre mes doigts, la baguette dans l’autre point. Je m’essoufflais. Le camion tourna à droite mais le temps que j’atteigne la rue, il avait disparu.

Je fis rapidement demi-tour vers la boulangerie, pensant qu’il faisait simplement le tour avant de me récupérer. Il ne m’avait pas vue… C’est un comble ! J’attends, et personne ne vint. Peut-être s’était-il garé dans la rue à droite ? J’y retourne, je fais attention à tous les véhicules sur le côté, non, mon petit camion n’y est pas, je suis formelle. J’ai fait le tour, pour retourner à la boulangerie le plus vite possible.

Le petit camion était introuvable. Il m’avait laissée là. Comme ça. Sans prévenir.

C’est drôle de l’écrire maintenant. Il m’avait laissée là. J’ai l’impression de faire une erreur dans ma concordance des temps. Assise sous mon chapeau, accroupie devant la boulangerie, je me faisais doucement à l’idée, d’abord sans trop y croire et puis en y pensant de plus en plus fort, de façon de plus en plus réaliste, à mesure que les secondes s’écoulaient.

Il m’avait laissée là.

Lui. Ma petite loutre. Mon loup. Le camion. Mes affaires. Envolés.

J’avais entendu plusieurs fois cette histoire, souvent drôle lorsqu’on la raconte, de celui qui dit aller chercher des cigarettes et qui ne revient jamais. J’étais allée chercher le pain, il  en avait profité pour filer. Nous nous ne étions pas disputés. Nous étions heureux me semblait-il. Nous avions des projets… Tant de projets !

Il m’avait laissée là.

Et le temps s’écoulant, il a bien fallu que je me mette à penser à moi-même. Et s’il ne revenait jamais ? Comment allais-je faire, livrée à moi-même, dans une rue que je ne connaissais pas, en pyjama, sans papier, avec à peine 70 centimes en poche ?

Surtout, ne pas céder à la panique.

La police… La police peut-elle faire quelque chose pour moi ? Après tout, il était quand même parti avec ma fille et l’ensemble de mes papiers.

Mes parents… Mais que vais-je dire à mes parents ? Il m’avait laissée là, à Fontainebleau, alors voilà je reviens le temps de trouver un peu plus que 70 centimes de monnaie. =(

Et ma petite loutre. Comment cela est-ce possible ! Comment peut-elle laisser son papa partir ainsi sans sa maman ? Qu’est-il en train de lui dire ? Je me rappelais combien elle avait été paniquée le jour où je laissais sur cinq mètres un Jedi infernal en dehors de la voiture. « Oh non Maman ! Mon chien ! Je l’aime ! C’est mon chien ! Ne le laisse pas ! » Pour ta maman, petite loutre, que dis-tu ?

Il me semblait que chaque passant jugeait mon pyjama et mon chapeau. Il jugeait ma baguette, trop serrée dans ma main comme une peluche un soir d’orage. Il jugeait parce que je n’avais pas de sac, des sandales pour chaussures, mon visage rougi parce que j’avais couru. Mais ce détail, il ne l’avait pas. Comme il savait si peu de chose, chaque passant, de moi, de lui, de nous. De l’improbabilité de ma situation.

Surtout ne pas céder à la panique. Ne pas céder à la peur. Personne ne t’aidera si tu as l’air malade.

Ce n’était pas possible. Il ne m’avait pas laissée. Pas moi. La feuille sèche que la loutre avait ramassée la veille, oui-elle-mais-pas-moi.

Quand a-t-il décidé ? Etait-ce prémédité ? Savait-il qu’il me laisserait ainsi un jour ou l’autre ? S’est-il convaincu que c’était le moment quand je descendais du camion ? Quand j’entrai dans la boulangerie ? A-t-il su fermer son coeur lorsque je courrais dans le rétroviseur ?

Mon coeur pleurait à chaque fois que je croyais entendre le moteur du camion. Mes yeux scrutaient la rue sans relâche. Marche ! Me disait mon cerveau. Tu vas renaître sans lui, tu vas être capable. Attend ! Me disait l’espoir. Il va changer d’avis.

Et le camion a surgi au coin de la rue. J’ai vu le soulagement dans ses yeux.

Il ne m’avait pas laissée.

12 commentaires:

  1. Oh dis donc le flip ! Pardon, je ne trouve pas d'autres mots.
    J'ai pensé que c'était impossible. Parce que vous vous aimez, parce que la petite loutre, parce que ton loup, parce que votre vie tous ensemble.
    Et il est revenu, il ne t'avait certainement pas vu, et a eu certainement peur de ne pas te retrouver tout de suite. Bien sûr qu'il ne t'a pas laissée ♥

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    1. Tu as tout compris, il ne m’avait pas vu. Et les sens interdits des rues alentours l’ont empêché de revenir vers moi. Lorsque je l’ai cherché dans la rue, il passait devant la boulangerie, lorsque je suis retournée à la boulangerie, il était parti voir si je n’avais pas fait route jusqu’à la piscine… La petite loutre a insisté pour qu’il fasse un dernier tour et nous nous sommes retrouvés !
      Oui, c’est peut-être impossible, mais c’est une question intéressante à se poser, non ? Toute ma vie est tricotée autour de lui, et s’il fallait défaire les mailles ?…

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  2. C'est ce que je me suis dis, qu'il ne t'avait pas laissée. Mais j'ai quand même eu le coeur serré en te lisant Céline.
    Je vois que vous avancez bien dans votre périple. L'été n'a pas été trop chaud?

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    1. Je suis contente d’avoir réussi à vous transmettre un peu de mes sentiments !
      Pour l’été, jusqu’ici nous sommes restés assez éloignés de la grande civilisation (Paris) et dès qu’on s’approche des arbres ou des rivières, il fait tout de suite moins chaud ! L’urbanisation n’aide pas à supporter la chaleur, nous l’avons bien remarqué cette semaine et je dois te dire qu’il me tarde de retourner dans mes bois ^^
      Heureusement, les gens sont extrêmement sympas et nous avons retrouvé des amis :-D (Ce qui est plus rare à trouver dans les bois, il faut bien en convenir)

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  3. François, t'est un zouave. Et Céline tu écrit trop bien. J'ai encore le coeur qui bas a 100 a l'heure. Biz à tous même au loup.

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    1. C’est un plaisir de te lire ici Pierre ! Tu as vu le message que François a ajouté à Facebook avec cet article ? C’est un bon blagueur ^^
      Bises à toi aussi et à tous les grimpeurs de Mas. !

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  4. Waouh... Soulagée de voir que ce n'est pas le cas, mais bien curieuse de savoir le pourquoi du comment (serait-il assez tête en l'air pour être parti sans voir que tu n'étais pas là ?). Cette attente a dû être réellement éprouvante, c'est fou tout ce qui peut passer par la tête...
    J'espère que vous avez retrouvé une joyeuse route :)

    Pidiaime

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    1. Salut Pidiaime !
      L’histoire c’est que François n’a pas pu s’empêcher de partir, plutôt que de m’attendre quelques secondes de plus devant la boulangerie. Et il ne m’a pas vu courir. Et il n’a pas réussi à revenir à la boulangerie rapidement. Et il a cru que j’étais partie seule vers la piscine !
      C’est assez fou, oui, de tout imaginer (souvent le pire) dès que les choses ne se passent pas comme prévu :-)
      Notre route est très joyeuse ! Ces petits coups de flip font parti de l’aventure. Ici je romance, dans la réalité j’ai bien plus d’humour ! ^^

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  5. Joliment écrit ! ça ferait un bon début pour un recueil de nouvelles :-) Mais, il faut que tu arrête de flipper comme ça, hein !

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    1. C’est une bonne idée ! Un recueil du type Pire que tout où l’on raconterait les pires scénarios catastrophes. Mais enfin, si j’arrête de flipper, il n’y aura plus de matières !

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  6. Je vois très bien comment la peur peut monter ^^' Des bises Dame :)

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    1. Je disais avant : « Je n’ai pas peur du changement » mais en fait, ce n’est pas vrai du tout. J’en ai une trouille bleue, du vrai changement. Mais cette non-peur que je croyais n’est que l’acceptation de l’existence cette autre réalité. Je saute d’un monde à l’autre. Entre celui qui est, et celui qui pourrait être. Et j’ai peur mais j’y vis. C’est une expérience assez rassurante en soi :-)

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A bientôt !
Céline.

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