Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

lundi, juin 29, 2015

Le plaisir de vivre dans son corps


Il m'arrive parfois d'oublier. Je ne sais pas exactement pourquoi ni même comment il est possible de continuer à vivre sans savoir ça et pourtant… C'est bien là qu'est le piège d'ailleurs. Il n'est pas nécessaire d'en être conscient pour continuer à vivre, mais lorsque la vérité me saute aux yeux je me dis toujours : Oh ! Misère ! J'avais oublié d'exister !

Je reviens de vacances, j'aurais peut-être dû choisir un sujet plus facile pour reprendre mon activité d'écriveuse, mais j'avais peur d'oublier de nouveau, de ne plus me souvenir combien cela est important. Je voudrais vous parler du corps humain. Pas de la mécanique, pas des cellules, pas des nerfs, de la nutrition et du cerveau, bien que tout cela reste et demeurera primordial, je voudrais vous parler d'un corps conscient jusqu'au bout des doigts, de celui dont la volonté s'exerce pleinement et intelligemment. Le corps qui ne se perd pas dans la pure contemplation de son cerveau, dans la fine écoute de son coeur, dans le regard infini du jeu de ses doigts, le corps qui habite pleinement en lui-même se meut au milieu d'une satisfaction sans pareille. Je ne dis pas ça pour vous appâter, hein ! D'ailleurs cet article ne donnera pas la moindre recette pour atteindre un tel état (je ne suis pas prof de yoga), je désire simplement vous parler, et pour le simple plaisir de le revivre, de mes vacances d'escalade qui m'ont permis de retrouver un peu de mon corps.

Vivre dans son corps réclame un peu de concentration. Lorsque je demande à mes élèves s'ils savent se concentrer, ils froncent les sourcils en crispant leurs lèvres, raides et fermés sur leur siège, histoire de me montrer que oui, ils savent se concentrer. Je souris gentiment en leur disant que non, la concentration, c'est pas vraiment comme "faire caca". La concentration s'est se focaliser, corps, âme intelligence et conscience sur une tâche. Pour parvenir à un état de concentration, il est primordial d'y consacrer du temps et surtout d'avoir envie. Quand je dis avoir envie, ce n'est pas avoir envie de se concentrer (ou de déféquer), entendons-nous bien, c'est de vouloir ce qu'on fait.

Quand on veut, on peut. C'est peut-être vrai. Ce qui est certain c'est que lorsqu'on veut, on peut marcher sur le bon chemin. Il suffit d'atteindre un état de concentration suffisant.

Alors le monde disparait et ne peut plus vous divertir parce que votre conscience l'absorbe. Alors votre corps oublie ses besoins et ses douleurs parce qu'il est tout entier tourné vers la réalisation d'un objectif. Votre intelligence fonctionne sans fatigue parce qu'elle navigue sur une mer douce et délicate toute dessinée pour elle. 

Je ne me rends compte de mon état de concentration que lorsque j'en sors. Ne plus être concentré c'est comme se réveiller d'un rêve merveilleux. La concentration a laissé une trace sur notre corps qu'on voudrait indélébile. Un bonheur immense nous envahie. Et pourtant le monde, ses bruits, ses lumières, nous sautent à la gorge. On respire longuement. Les bonnes choses ont une fin, on reprend notre vie banale et on cesse de créer jusqu'à ce que la prochaine vague cosmique nous emporte.

Si je n'étais pas déjà tombée amoureuse de l'Explorateur, j'aurais été perdue d'admiration devant lui lorsque je l'ai vu concentré pour la première fois. Il grimpait une voie d'escalade difficile et haute. Il était à quelques mètres au dessus de sa dégaine, il avait exclu de ses pensées l'idée de tomber. Il était concentré. Ses gestes avaient atteint une précision immortelle, son visage était détendu et serein, sa force avait été décuplée. Il avançait tranquillement et les difficultés de l'escalade ne le faisaient plus souffrir. Soudainement ses doigts atteignirent le relais. Il me souriait. Le soleil l'aveuglait et le brulait mais il avait atteint un état mémorable.

Pendant ces vacances, l'escalade m'a permis de reprendre la pleine possession de mon corps. Il est bien beau d'être concentrée sur un devoir de mathématiques, assise sur une chaise à 45 cm du sol, c'est une toute autre affaire de transmettre sa conscience à l'ensemble de son corps et de son équilibre, collée à un cailloux à la peau piquante, les muscles tantôt bandés, tantôt relâchés, dans un mouvement mêlant précision et force.

Lorsque je pratique l'escalade avec François l'Explorateur, j'éprouve pleinement le plaisir de vivre dans mon corps.

Ce n'est pas une voie très difficile mais j'ai éprouvé beaucoup de plaisir
à exécuter les gestes "nouveaux" qu'elle me réclamait

Lorsque je pratique l'escalade je suis sans cesse confrontée à des mouvements nouveaux, des mouvements que ni mon corps ni mon esprit n'ont encore pratiqués. J'avais passé les vingt premières années de ma vie à tout apprendre par la parole (les maths, la littérature, les lois de la physique, …) voilà que grimper me montrait une nouvelle voie d'apprentissage : celle du corps. Pour continuer à gagner en altitude et rester accroché à sa paroi, il faut tout coordonner. Il faut que la force s'applique au bon moment, avec le bon muscle, avec la précision adéquate ; il faut que l'équilibre soit respecté, parfois vertical comme à l'accoutumée mais d'autres fois une jambe à la hauteur des épaules, une main vers le talon ; il faut que le poids du corps se déplace au dessus d'un pied et de l'autre, qu'il se répartisse entre une main et un pied à un instant, entre un orteil et rien d'autre le pas suivant ; il faut que l'esprit soit présent dans ce qu'il fait, qu'il respecte les mouvements du corps et qu'il ne se laisse pas emporter dans sa complaisance existentialiste (mais pourquoi est-ce que je fais ça ? mais pourquoi ne suis-je pas resté assis sur la nappe de pique-nique ? mais pourquoi monter encore plus haut ? mais pourquoi est-ce que j'existe ? mais pourquoi faut-il que j'existe ??) ; et il faut que la concentration soit de mise. Evidemment.

Et arrive le moment où on arrive en haut. Les bras pendent le long du corps. Le coeur bat plus vite. Le soleil nous frappe parce que le rocher ne nous protège plus dans son ombre. On est heureux d'avoir réalisé quelque chose de fort : la conscience jusqu'au bout des doigts, l'intelligence prise dans l'incroyable tunnel de la concentration, notre corps a réussi à faire des mouvements, un pas vers l'humanité qu'il ne connaissait pas avant de rencontrer ce rocher. Lorsque j'arrive en haut, je suis heureuse de vivre dans mon corps, et je l'aime pour tout ce qu'il est capable d'apprendre !

Faites de l'escalade, ou faites autre chose, mais vivez le plaisir de vivre dans votre corps.

2 commentaires:

  1. Etre présent à son corps, à soi-même.. oui le sport est un très bon moyen pour cela. En ce qui me concerne, c'est l'équitation... le partage avec un autre être vivant, qui requiert toute mon attention. Toute la difficulté consiste à garder cette présence à soi-même une fois le pied à terre...

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    1. C'est sûr que ça doit être assez incroyable de partager sa concentration avec un autre être vivant, non-humain de surcroit !
      Garder cette présence en tout temps est un travail de tous les instants extrêmement stimulant. Ce que je pense impossible, par contre, est de garder de façon permanente sa concentration.

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A bientôt !
Céline.

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