Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

samedi, décembre 10, 2016

Entre diagnostic et résolution

Les réflexions que je vais énoncer ici sont directement liées à mes questionnements à propos de la douance, mais il me semble qu’il est possible de les étendre à d’autres diagnostics, d’autres différences, ou d’autres particularités plus ou moins personnelles.

Lorsque quelqu’un est pris par des questionnements existentiels, il peut se voir manger une bonne partie de son énergie à la résolution de ses questions. Pour ma part, j’ai lu avec assiduité une quantité phénoménale de documents sur le haut potentiel intellectuel. C’était même devenu mon sujet d’étude favoris pendant des mois. Je ne vous raconte même pas les nuits entières à y réfléchir, à tourner le problème dans tous les sens, à le presser jusqu’à en sortir tantôt des choses intéressantes, tantôt des pensées sans queue ni tête. Et à y revenir encore et encore… J’ai bien cru que je ne m’en sortirai jamais !

Je joue le jeu de l’équilibre précaire et de l’exactitude
La question du diagnostic
J’ai lu plusieurs fois que l’on ne peut pas parler de diagnostic en parlant de la douance sous prétexte qu’il ne s’agit pas d’une maladie. L’argument m’a plu un moment mais je ne le trouve plus recevable. Il est vrai que le mot diagnostic appartient aux champs lexicaux de la maladie ou du trouble mais il ne faut pas oublier que, dans le fond, un diagnostic est l’étude de signes et de critères permettant de catégoriser un phénomène. C’est bien ce qui est fait lorsqu’un psychologue rencontre une personne présentant des signes de douance ou qui se demande si elle ne pourrait pas être à haut potentiel. Le psychologue compare cet individu avec des comportements et des attitudes types des personnes douées, il propose à la personne un test statistique, et établit à l’issue de cette étude un diagnostic.

Il ne faut pas oublier qu’un diagnostic dépend des connaissances individuelles du spécialiste et même de l’avancée de la recherche sur la question qui vous intéresse. J’avais été voir un médecin il n’y a pas si longtemps car j’avais très mal à la gorge et une boule gonflait par moment sous ma mâchoire. C’était un dimanche et j’avais peur d’avoir un cancer de la thyroïde, je me suis alors rendue aux urgences, la peur au ventre. Là-bas, les infirmières m’ont diagnostiqué une amygdalite, puis m’ont dirigée vers le médecin de garde. Le médecin de garde m’a, quand à elle, diagnostiqué une simple infection par un virus et m’a conseillé de prendre de l’ibuprofène. Pas convaincue pour un sou, le lendemain j’ai pris rendez-vous chez un autre médecin qui s’est rendu compte que la boule en question dans ma gorge était une glande salivaire bouchée. L’erreur du premier médecin était qu’elle n’avait pas tenu compte d’un indice : j’avais très mal en mangeant, il me semblait que le problème avait commencé sous ma langue. Certains spécialistes écarteront des signes que d’autres prendront au sérieux, faisant ainsi évoluer le diagnostic. Il peut alors être intéressant de chercher l’avis d’autres spécialistes lorsque des doutes demeurent.

Le diagnostic est quelque chose de bien utile. Il s’agit d’un mot ayant la volonté de résumer l’ensemble des caractéristiques d’un phénomène ainsi que les manières à notre disposition pour le prendre en charge. Lorsque mon médecin me disait très sérieusement : « Vous avez une pharyngite. », je savais que je devais comprendre que j’étais probablement attaquée par un virus. J’aurais alors droit à quelque chose pour soulager les symptômes. Mon corps fera l’affaire de ce virus d’ici quelques jours. Le diagnostic ne dit effectivement pas toujours qu’il y a quelque chose à faire, le diagnostic n’exprime pas nécessairement l’idée de correction, de guérison. Le diagnostic indique la marche à suivre et permet de se positionner sur l’état actuel du problème étudié.

J’ai beau énormément aimer les mots, je n’ai absolument aucune naïveté sur leur capacité à nous donner de fausse idée de maîtrise. Le diagnostic, c’est super et à la fois fortement trompeur. Voyez l’exemple du mot pharyngite, vous croyez entendre le nom d’un microbe alors qu’en fait ça signifie seulement inflammation du pharynx. C’est la même chose pour les rhino ou autre mot en ite : ça veut dire affection. Je me suis laissé berner pendant de longues années avec ce jargon, maintenant que j’ai compris, j’arrive à poser la plupart de mes diagnostics toute seule !

Le problème, c’est que pour des sujets aussi sérieux que la douance, c’est exactement la même chose. Le mot a l’air très précis, très sûr de lui, la notion de haut potentiel est même calculée avec des stat hyper développées, permettant de révéler des fonctionnements aujourd’hui observés par IRM, il n’empêche que… ça reste flou. On ne sait pas, personne ne sait, ce qu’est une personne douée. La douance a été définie à partir d’études statistiques et de cas psychologiques, études que j’appellerai macroscopiques. Celles-ci ont débouché sur des observations au niveau de la matière blanche et de l’organisation des connections au sein du cerveau très particulières, études que j’appellerais microscopiques. Le problème étant que le lien entre les faits microscopiques et les observations macroscopiques n’est pas parfaitement établi. C’est simple comme la météo : c’est chaotique un cerveau ou (soyons fou, parlons-en !) un individu tout entier. Un anticyclone sur la France, ça fait grosso-modo du beau temps, mais tous les anticyclones ne se ressemblent pas.

Gardons bien à l’esprit ceci : quand un psychologue vous dit « Vous êtes HPI », ou n’importe quel autre diagnostic, on pourrait croire qu’on en sait un peu plus sur vous, mais en fait on ne sait toujours pas qui vous êtes. Ce n’est pas forcément du temps perdu. Cela permet d’avoir à l’esprit certains schéma et certains conditionnements a plus forte probabilité d’être et de survenir, vous pourrez vous dire : « J’ai 90 % de chances d’être dans ce faisceau de vies là… », mais le diagnostic jamais ne dira sur quelle ligne de vie vous vous promenez réellement.

La résolution
Mais alors comment fait-on ? Diagnostic auto-proclamé, diagnostic cliniquement évalué, ou pas de diagnostic du tout, il faut bien avancer dans sa vie ! Ne vous inquiétez pas, j’en viens au vif du sujet. Il me semble que le problème se pose au départ assez simplement : bactérie ou virus ? Généralement, dans le second cas, vous n’aurez pas besoin d’aide extérieure. Le corps développe des anticorps efficaces — la résilience ? — qui feront leur effet dans un temps plus ou moins long. Dans le premier cas, on fait plutôt appel à des antibiotiques, entre autres. Je ne suis pas médecin, hein, je résume simplement ce que j’ai compris de la situation. Déjà, à ce niveau de questionnement, il est fortement possible de faire erreur. Parfois on croit pouvoir régler les choses seuls alors que pas du tout, d’autres fois on croit avoir besoin d’aide alors qu’il aurait mieux valu se faire confiance. Mais je crois bien que c’est un parti à prendre et à assumer pleinement. Quitte à changer d’avis en cours de route, j’approuve totalement le principe.

Je m’entraîne au développement photo
Pour ma part, qu’elles que soient les circonstances, j’applique le principe de l’immédiate amélioration. J’essaie un truc, si cela fonctionne dès la première application, c’est une bonne piste. Si ce n’est pas le cas, je creuse un peu plus la question afin de mettre au point un meilleur remède. Si je dois reproduire un traitement de façon chronique, je ne me considère pas comme soignée. Je cherche un remède plus profond. Quand un médecin me dit : « Ca peut mettre 15 jours avant de faire effet… », je sais à ce moment là qu’il n’a pas le remède idéal mais qu’il fait ce qu’il peut et j’apprécie ses efforts.

Quand je suis allée voir un psychologue, j’avais seulement en tête l’idée du diagnostic. Je me suis assise face à lui, j’ai répondu à ses questions, et j’ai attendu le verdict. J’ai été déçue, mais il me semble que ce n’était pas vraiment la faute du professionnel qui m’a reçue. En fait, j’avais très mal défini mes besoins. Il me semblait que c’était cela qu’il me fallait, avoir un diagnostic, alors qu’il m’était en fin de compte quasiment inutile.

Douée ou pas, il faut que je m’occupe de :
  • ma susceptibilité embarrassante ;
  • la façon dont je me mets furieusement en colère ;
  • la confiance que je prête à ma sensibilité et à la synesthésie ;
  • le besoin de reconnaissance de mon intelligence ;
  • mes sentiments de solitude et d’ennui.
Vous avez bien lu : j’ai écris douée ou pas. La question n’est finalement pas de savoir si l’on parle d’hyper ou hypo sensibilité ou intelligence, il faut surtout et sérieusement que je me charge de ces différents points. Même si je n’étais pas HPI, j’aurais dû m’en occuper. Même si j’étais HPI, cela ne m’aurait pas dispensée d’apprivoiser tout ça.

Dans ce cas, le diagnostic ne perd pas tout son sens : il n’est pas important dans l’élaboration de ma personnalité mais me permet d’être alerte sur certains points envisageables. Par exemple, je sais qu’une boule sous la gorge peut être un ganglion, mais que juste à côté logent des glandes salivaires. Quand quelque chose gonfle sous ma mâchoire, je ne m’écris plus forcément VIRUS!, je suis alerte à d’autres signes.

Ce que je dis est très simple : s’informer a toujours du bon.

Le psychologue a sorti le mot hypersensibilité dès notre premier rendez-vous. J’étais allée le voir pour un diagnostic et pourtant j’ai été choquée d’en entendre un si rapidement. Je me posais la question suivante : il s’appuie sur ce que je lui dis pour me qualifier, il n’a aucun autre moyen de vérifier ma vision des faits alors comment peut-il émettre la moindre hypothèse ? De plus, j’avais un fort sentiment de malaise face à ce mot. J’étais comme revenue dans la salle des urgences avec une infirmière qui me lance amygdalite à la figure : mais qu’est-ce que ça signifie exactement ? Lorsque le psychologue m’a dit, en guise de remède « Vous n’avez qu’à vous rapprocher de personnes aussi sensibles que vous. », je me suis sentie bien mal.

J’ai cru que le diagnostic m’aiderait. J’y ai cru très fort.

A présent, et non pas grâce au diagnostic, mais davantage grâce à ce que mes nouvelles connaissances en psychologie m’ont apporté, j’ai réussi à mieux définir mes besoins et à élaborer une stratégie pour avancer. Le diagnostic m’a longtemps détournée de ce chemin car j’ai cru avoir besoin de ce jugement pour avoir le droit de réfléchir à mes différentes questions. J’ai cru avoir besoin de mon rang à un test de QI pour parler isolement, intelligence, et sensibilité avec mon entourage. J’ai cru avoir besoin de ce mot pour demander à recevoir de l’empathie. A présent, à vous tous qui êtes peut-être en questionnement sur votre personne, je vous conseille largement de ne pas vous focalisez sur le diagnostic. La question n’est pas d’avoir le droit ou non de mettre des mots sur ce que vous vivez, mais de trouver les mots justes qui vous permettent d’être compris de vous-même et par ceux qui comptent.

Apprendre à parler de soi est un travail intense. Le diagnostic n’en est certainement pas le point de départ.

4 commentaires:

  1. On m'a conseillée de te lire, car je suis en plein dans le questionnement... et l'attente... de diagnostic. Éperdument.
    Sauf que je vois les choses autrement : Là, aujourd'hui vendredi 16 décembre à 17h27, j'ai besoin de savoir. Parce que la question tourne dans ma tête depuis quelques semaines mais que ça m'a profondément déstabilisée.

    Moi j'ai toujours été différente, isolée, peu adaptée, cyclotomique, hypersensible. Et plus tard avérée souffrant de dépression.
    Durant mes 35 dernières années de vie, j'ai assimilé les psy -chologues -chanalystes -chothérapeuthes -chiatres (mais pas tellement ceux là). J'ai été suivie 20 ans, 16 en analyse. Eu des angoisses, tenté l'hypnose.
    Et la question du HP n'est jamais sortie, d'aucune bouche d'aucun médecin !

    Aujourd'hui j'aime à croire que je me connais par cœur. Mais tu as beau savoir le nom des pièces du moteur, tu n'en es pas un mécanicien pour autant.
    Je n'ai pas ou peu de pistes, je me résigne à être perpétuellement ballotée sur ce grand huit gigantesque qu'est ma vie.

    Le diagnostique me permettra d'avoir la pièce en plus, celle qui m'expliquera le passé et qui me donnera l'assurance de ne pas être QUE différente, QUE l'inadaptée, QUE la dépressive.

    J'y vais mardi

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  2. Merci Agoaye de lancer l’échange avec moi à propos de ce diagnostic !

    Ce que je vois dans ce que tu me dis, c’est que tu sembles avoir répondu depuis longtemps à cette question : bactérie ou virus ? Tu t’es tournée souvent vers l’aide des professionnels et leurs diagnostics, et en ce sens ton cas est tout à fait différent du mien puisque j’ai esquivée cette situation au maximum.

    L’hypothèse d’être HPI est un aiguillage qui n’est pas négligeable. Je reste malgré tout persuadée que le diagnostic n’est utile qu’aux professionnels (pour leurs études, pour caractériser les phénomènes, pour étudier des procédures) et que les individus ont davantage besoin d’empathie et de justesse pour eux-même.

    Je pense que tu as déjà pensé très fort à la suite. Que ce passera-t-il lorsque le psychologue t’aura dit ou ne t’aura pas dit HPI ? Va-t-il t’aider à faire le point sur tes émotions, tes difficultés, tes envies d’avenir et de bien être ? Ne penses-tu pas vraiment que la validation du diagnostic est faite pour lui et non pas pour toi ?

    Cela va-t-il changer la façon dont tu te perçois (tu sembles évoquer ce point dans ton commentaire) et si oui : en quoi exactement ?

    J’espère que cette discussion te convient, je serais ravie d’échanger avec toi sur ce sujet. En tout cas, je te souhaite un excellent rendez-vous avec un psychologue à ta hauteur ! :-)

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  3. Je partage tout à fait cette idée que le diagnostic en soi n'apporte rien : c'est ce qu'on en fait qui permet de progresser. C'est sûrement une des raisons pour lesquelles jusqu'à récemment, j'ai si mal vécu ma douance : je l'ai su à 9 ans finalement, ça a été posé là puis traité comme un tabou. Le diagnostic sonnait comme une sentence.
    Tout a changé le jour où j'ai appris que ce diagnostic expliquait certains traits de ma personnalité et que donc cette émotivité débordante, ce fond dépressif et le sentiment de ne jamais être à ma place était des symptômes sur lesquels je pouvais travailler : avant ça, j'étais une pleurnicheuse colérique, un sale caractère, je n'avais qu'à - au choix - fermer ma gueule ou m'endurcir...
    J'ai fréquenté de nombreux psy qui cherchaient tous un truc sur Oedipe et ramenaient systématiquement tout à la sexualité (je caricature mais pas tant que ça...) Zéro progrès. Chercher un thérapeute lié à ma spécificité m'a permis de beaucoup avancer : elle parle par exemple d'équilibrer l'excès de raisonnement dans certains comportements et l'excès d'émotions dans d'autres. C'est lumineux ! Je n'ai jamais autant écrit que depuis qu'elle me suit, des portes s'ouvrent et je me sens sur la voie de l'apaisement.
    Je dirais que le diagnostic n'est d'abord utile que s'il y a mal être (malgré tout, ce serait plus simple si j'étais heureuse comme je suis). Puis qu'il est une petite lumière sur un chemin bordé de ténèbres : il permet de voir qu'il y a des bifurcations là, juste après, il nous reste encore à choisir celle qu'on souhaite emprunter...

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  4. Je trouve, Euphrosyne, ton commentaire très intéressant car il remet bien le diagnostic à sa place. J’aime ta métaphore de la petite lanterne pour éclairer le chemin. Le diagnostic n’est pas une route à suivre, il indique seulement le nom du filtre à utiliser pour mieux observer (et de ce fait comprendre sans culpabilité) nos excès.

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A bientôt !
Céline.

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