Vous souvenez vous ? J'étais sur un parking, au bord de l'eau, à attendre le coup de fils pour les pneus promis dès le lendemain par le garagiste en qui j'avais confiance. Le vent soufflait ardemment et nous avions fermé le toit d'Otto. J'ai reçu l'appel, juste avant midi pour un RDV à 15h. Ils avaient les pneus, donc. A 14h, je sors la Loutre de ses jeux. A 14h20 nous démarrions le camion. Il cale direct en faisant un gros coup en avant. J'avais pourtant vérifié qu'il n'y avait pas de vitesse de mise ! Je recommence, avec beaucoup de précautions et je débraye pour être certaine. Otto part doucement sur la route creusée par l'eau de pluie. A 14h24, je stoppe net la machine. Au dessus du chemin, quelqu'un a baissé une barre ! 1m90, je lève les yeux et c'est certain : notre bête ne passera pas en dessous. Il faut pourtant que je rejoigne la route, moi !
Comme les cueilleurs de coco je grimpe au poteau et je dévisse le boulon gluant de graisse pour libérer la barre. L'Explorateur est parti dès 6h du matin en stop pour rejoindre la falaise où il a prévu de grimper avec deux compagnons. Il me manque ses 30 centimètres supplémentaires, mais j'assure comme je peux. Je passe vite vite du côté de l'autre poteau pour tenter de soulever la barrière. Elle est malheureusement coincée dans un cran, de l'autre côté. En courant les yeux rivés au sol, je prélève au talus une belle pierre bien lourde. Je soulève le rocher au dessus de ma tête et l'élance doucement contre la barre. Le poids est tel que je n'ai pas besoin de beaucoup de force pour l'ôter de son cran. Victoire ! J'arrive à soulever la barrière à la verticale mais je crains que le vent ne la rabatte sur le toit du camion lors de notre passage. Je déterre une petite ficelle des recoins de nos rangements et je fais deux tours entre la barre et le poteau pour les tenir solidaires. Je passe vite avec Otto entre les poteaux, et je fais tomber la barre en récupérant ma ficelle. Je ne prends pas la peine de revisser le boulon.
J'arrive sur la route. Première. Seconde. Le camion s'élance. Troisième. J'accélère. J'ai un petit repère pour le passage de mes vitesses. 40 km/h -> 4ème. 60 km/h -> 6ème. Nous n'avons pas de 5ème. J'atteins enfin les 40, je passe ma vitesse et le camion ronfle comme si j'étais revenue à la seconde ! Je recommence avec précaution, le problème reste le même. Je tente la cinquième, enfin la sixième, pour voir, et je garde le même couple que si j'étais en 3ème. Plusieurs essais et une certitude : je n'ai plus ni 4ème ni 5ème vitesse ! (enfin : 6ème). Je fais ainsi tout le trajet à 40, pour ne pas monter trop haut dans les régimes. Dans les descentes, je passe en roue libre et je découvre un camion silencieux comme une pile électrique. Pour garder le sourire et la cool attitude, je conduis le coude sur le rebord de la fenêtre et le vent qui claque dans les rideaux du camion. Je glisse à la Loutre qui s'interroge « J'ai un p'tit soucis avec Otto, je vais devoir rouler doucement. » « Ok !, me lance-t-elle de sa banquette à l'arrière, j'espère qu'on arrivera à l'heure ! »
J'aime bien cet Otto qui tombe en panne le jour où nous avons RDV chez un garagiste ! Je parle de mon problème de 4ème et 5ème au monsieur (je ne lui dis pas qu'il s'agit plus d'une sixième qu'une cinquième pour être sûre d'être prise au sérieux), il me promet de jeter un oeil après avoir changé ses pneus. Je le vois regarder, une lampe à LED blanches crues comme celles des hôpitaux coincée derrière la roue, son visage et son ventre glissés sous la caisse. « C'est vrai qu'il y a du jeu, me dit-il, mais elles passent, j'ai vérifié. » Ah bon ? « Oui, il faut un peu insister… » A son ton, je sais qu'il croit que le problème vient plus de moi que de la machine. Enfin, je n'insiste pas, puisqu'il me dit qu'elles passent.
Je pars avec mes pneus qui sentent bon les cahiers de la rentrée, en encore plus fort, et dès les premiers mètres, je sens bien que rien ne va dans ces vitesses. J'insiste. La quatrième passe. Je reprends confiance et je dépasse les 40 km/h. J'arrive à une petite côte pour sortir de la ville. Faut que je rétrograde. Ah la la c'est la galère… Je freine. Je tente de passer la première. Le camion reste en seconde. Je recule doucement (en roue libre) pour sortir de la rue mais déjà les voitures s'entassent derrière moi. Il n'y a personne sur la route en face donc je décide de traverser pour faire demi-tour. En fait, je perds complètement la boule, comme mon levier de vitesse qui perd tout contact avec la réalité.
Sans savoir comment c'est-y possible cette affaire-là, me voici en travers de la route, sans marche avant ni marche arrière. Tout un peuple à gauche, un autre à droite. Quelques klaxons s'éveillent ici et là. Un bus se rajoute et m'indique qu'il est pressé. Mon levier de vitesse refuse toujours de répondre alors j'ouvre ma portière et je lève les bras en l'air pour dire à tous que je me rends. Un homme, heureusement, arrive à ma rescousse. « Ca ne répond plus. », dis-je avant de me corriger : « Je n'ai plus aucune vitesse ! » Il me propose de pousser le camion vers le trottoir à gauche, je veux bien tout. Le chauffeur du bus se rajoute. Un garde champêtre se présente à bord d'un scooter. Avec ses deux hommes et les indications de l'agent, il faut peu de temps à Otto pour aller se garer contre le mur, libérant le passage. Les voitures s'écoulent de part et d'autre. Le chauffeur du bus s'excuse : « Je suis attendu, je ne peux pas rester… » L'autre homme qui m'a sauvée part chercher sa fille à l'école. Le garde champêtre a disparu. Me voici ainsi mère isolée sur le bord du trottoir, ma maison devenue immobile.
Certains ont évidemment l'habitude, d'avoir leur maison au bord d'un trottoir, moi je ne m'y suis pas sentie à ma juste place.
« Pourquoi ? » lance la Loutre à tout va. Je n'arrive pas à comprendre ses questions. Je suis sur le point d'exploser. Je crie. Pour évacuer un peu mon stress, peut-être, pour appeler mes esprits à la rescousse, sûrement. L'adorable se tait enfin quand je lui promets finalement, forçant ma voix à rester calme, de répondre à ses questions dès que j'aurais trouver une solution.
J'appelle le garagiste. Il vient en personne me dépanner. En utilisant les deux vitesses disponibles (2 et 3), il parvient à ramener le camion jusqu'à son garage. Il déplace toutes les voitures sur lesquelles il travaille pour libérer un pont et tenter de réparer ma panne. Le verdict ne se fait pas attendre ! Une goupille a cassé sous le camion, désolidarisant totalement le levier de vitesse du reste du moteur. Ah ah ! Je sautille partout, parce que la vie c'est complètement fou, mais voyez-vous, la folie de la vie est tout aussi incontrôlable que fantastique !
Il a fallu qu'un premier garage annule notre RDV deux fois (une erreur informatique qui ne s'explique que par un manque de professionnalisme criant selon moi !) pour qu'on se retourne vers cet autre garagiste qui obtient dès nos premières secondes toute ma confiance. Le jour où je dois me rendre auprès de ce garage, Otto casse sa goupille. Il devait bien se retenir, ce brave, et serrer des dents comme il pouvait (car un camion, ça en a assez peu, des dents… peut-être dans les engrenages de la distribution ? Oh, s'il pouvait ne jamais "serrer" ça !), et le truc a tenu jusqu'à ce jour ! Otto a entendu le mot “garage” et “c'est maintenant ou jamais” a-t-il peut-être pensé, et le voilà qui lâche sa petite bombe. Une petite goupille de rien du tout. Mais qu'on n'aurait jamais pu remplacer sans pont, qu'on n'aurait jamais pu repérer sans l'oeil intelligent du garagiste. De CE garagiste. Un autre aurait probablement tourné autour du pot pour cacher son manque de perspicacité. Je commence à les connaître, ces messieurs. (Je remercie ainsi l'erreur informatique de nous avoir menés jusqu'à lui.) Nous en avons profité pour serrer la transmission dont les boulons vivotaient… (grosse panne, pas marrante du tout à vivre, évitée avec virtuosité !)
Enfin voilà. Quelques galères. Mais beaucoup de gratitude pour l'enchainement des évenements. Pour les hommes qui ont poussé la bête jusqu'au trottoir. Pour l'Adorable qui a gardé confiance en sa maman tout du long. Pour le regard fier du garagiste, le marteau sur l'épaule, parce qu'il sait qu'il va pouvoir me réparer ça en deux-deux. Pour sa femme qui a répondu à mon appel avec tant de compréhension et l'assurance que son mari allait me tirer d'affaire. Pour tous ces gens qui n'ont pas tant klaxoné que ça autour de mon camion en travers de la route.
Et pour L'Explorateur qui est rentré à la nuit avec autant d'histoires que moi à raconter. Nous nous sommes couchés bien tard.
Contents d'avoir de nouveau un camion qui roule bien (soyons honnête : il roule de nouveau comme avant, à savoir presque-bien !), nous avons alors fait route vers un vrai bord de mer cette fois. La calanque d'En-Vau.
Le bout de rien du monde. |
Loutre et moi-même prenant le soleil. |
Jedi partant secourir un morceau de bois à la mer. |
Feu d'artifice donné par les fleurs du chemin. |
Chemin évident vers le ciel. |
Le camion en lui-même est toute une aventure.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup le passage où tu dis que tu sors les bras en l'air pour "te rendre". Je trouve que c'est une image qui va si bien avec la situation que tu décris.
La vie c'est parfois un enchaînement de "si j'avais pas fait ça, il me serait pas arrivé ça", mais parfois, c'est aussi ça "heureusement que...", et les problèmes se règlent ou s'évitent par un simple enchaînement heureux. Je les adore ceux-là. Ils sont si savoureux ^.^
Comme tu dis : ils sont savoureux ! Finalement, j'ai un très bon souvenir de cette journée, même si, objectivement parlant, c'était une vraie galère !
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