Céline Dehors et François l’Explorateur — Aspirants, chercheurs en liberté, expérimentateurs d’idées loufoques. — Et accessoirement auteur de « Ce que le Souffle m’a donné »

jeudi, juin 29, 2017

J'ai dit le nombre

C'était il y a quelques jours, nous dinions avec de bons amis. Ce genre d'amis qui ne vous invite qu'une fois dans leur vie, mais dont l'invitation est valable à perpétuité. On passait là parce qu'ils avaient une piscine et que la Loutre avait des brassards tous neufs à tester. Nous avions acheté des saucisses, alors ils ont allumé un barbecue pour les cuire. C'était une belle soirée. Leurs enfants et la Loutre jouaient ensemble dans le jardin et nous étions à table à discuter entre adultes. Et puis, sans crier gare, parce que je ne suivais probablement pas la discussion comme je l'aurais dû, j'entends :
« Tu as déjà passé un test de QI, toi, Céline ? »

Quoi ? Quoi ? Pourquoi ne sait-elle pas que c'est tabou de parler d'intelligence ? Je croise son regard et la réponse est toute trouvée : parce que c'est une belle personne qui n'a pas peur d'évoquer le sujet. Parce que notre relation est naturelle, sans complexe, parce qu'elle m'a, avec son mari, invitée à vie chez elle. Parce que nous sommes bien tous ensembles. Et parce que pourquoi pas.

Sauf que moi, je n'ai jamais préparé de réponses à cette question, pensant ne jamais l'entendre. Je ne sais pas d'où lui vient cette idée (pourquoi moi j'aurais passé un test de QI ?), je ne sais pas ce qu'elle en pense, je ne sais rien du tout.

« Déjà, la norme, c'est combien ? »
Je suis touchée par la pertinence de sa question. Elle me sauve quelques instants. La question est facile. J'y réponds sans hésiter.
« La norme est de 100.
— Ok, et toi alors ?
— Moi ?! Ca va, je suis au dessus.
— De combien ? Dis-nous ! »

J'avale difficilement ma salive. Je me trémousse sur ma chaise. Peut-être que mes épaules s'affaissent un peu. Je suis déçue de moi-même. Je voudrais rester droite.

Et j'ai dit le nombre. A l'unité près.

Et je me suis traitée d'idiote. Je n'ai pas précisé que de tests, j'en avais passé trois et que je n'avais annoncé le résultat que du plus précis (qui se trouve aussi être le rang le plus élevé que j'ai obtenu). Et puis, mon amie ne connaissait pas l'écart-type, qu'est-ce que ça pouvait bien lui dire de moi, ce nombre lancé comme ça à l'unité près ? Pourquoi ai-je été aussi fière que honteuse après m'avoir entendue le dire ? J'ai regardé le sol, j'ai marmonné : « Enfin, héhé, hem, voilà, quoi… », elle m'a dit : « C'est comme ça, c'est bien. », j'ai répondu : « Oui, je préfère ça que d'avoir 70… »

Et puis nous avons un peu parlé de l'intelligence. Nous étions d'accord : ça ne fait pas toute une personnalité. Ca ne dit pas tout.

Enfin voilà, j'ai dit le nombre à voix haute. J'ai fait mine d'éviter le regard plein de fierté de l'Explorateur, déjà que je n'arrivais à contrôler la seule mienne. Toute la soirée, je l'ai vu, ce nombre à trois chiffres, en grosses lettres violettes à côté de ma tête, comme si nous étions à un jeu TV et qu'il s'agissait de mon gain. Il se déplaçait avec moi, et me suivait à la manière des ballons en aluminium plein d'hélium qu'on promène dans les fêtes foraine. Quand je tournais sur mes pieds, il se recalait légèrement derrière mon épaule, avec une légère inertie en tant qu'objet doué de matière. Une matière soudaine offerte par le son de ma voix. Je craignis de le faire éclater en refermant la porte du camion pour repartir à la nuit tombée (on ne le voyait presque plus déjà).

Le matin, en me réveillant, le ballon à trois chiffres avait disparu, dégonflé, rabougri et fripé caché derrière mon oreiller. J'étais soulagée, plus personne ne pouvait le voir dans mon sillage. Mon QI était redevenu incognito. Comme il l'est toujours tant que je ne le prononce pas à voix haute. Aussi peu important qu'il devrait toujours l'être.

Le QI ne dit pas tout.

6 commentaires:

  1. Houla, que j'aurais été mal à l'aise dans ta situation !!!!! C'est un sujet que je n'aborde jamais, seule mon mari sait que j'ai fait un test et que je suis HP. Je suis mal à l'aise avec ce sujet lorsqu'il est abordé et j'ai toujours peur qu'on me pose la question....

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    1. Oui, c'est vrai, j'ai été mal à l'aise mais la question m'a été posée en bonne compagnie. Je n'avais rien à craindre, au fond. Et… que pouvais-je y faire ? J'avais passé un test, j'avais passé un test, je ne voulais pas mentir, j'ai dit le nombre aussi parce que je le voulais bien. Le dire, ça m'a permis d'y croire moi-même un peu plus et me rendre compte à la fois combien c'était peu de chose dans ces circonstances.
      Si un jour on t'interroge sur le sujet à un moment où tu ne le veux pas, tu as toujours la possibilité de nier ou d'en faire trop ;-P

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  2. Bonjour Celine,

    Cet article me fait réagir assez fort en fait!!!

    Préalable: j'ai une perception différente des choses, je l'explique (avec un peu d'énergie parce que ça me touche), en aucun cas je n'émets d'avis ou de jugement ou de je ne sais quoi d'autres sur d'autres perceptions que les miennes, c'est juste une conviction personnelle forte que je partage.

    Oui le QI ce n'est pas tout, loin de là, il y a plein de formes d'intelligence et un nombre incalculable de déterminants dans un être humain.

    Oui, tout comme un chiffre par exemple de salaire ou de patrimoine, le fait de le prononcer ouvre le flanc à la critique du "il/elle se la raconte, se prend au sérieux, crâne, etc." et je trouve franchement détestable l'idée de se mettre grossièrement en avant. Finalement le sous-jacent insupportable c'est de vouloir montrer que l'on est supérieur et le jeter au visage des autres. Moi plus fort que toi.

    Ceci dit, nous sommes uniques et nous vivons en société. Peut on vraiment nier qu'il découle de ces deux faits qu'il y a toujours une part de nous qui est en représentation (même de manière inconsciente) puisque nous interagissons avec d'autres et que nous nous positionnons "dans" leur regard d'une part et que nous cherchons à nous différencier d'eux ("par rapport" à leur regard)en quête de notre singularité et de son affirmation d'autre part? Dire je trouve malséant de la ramener avec son pognon ou son QI, c'est encore me positionner par rapport à ceux qui le font et affirmer que je suis et différent et meilleur parce que je ne le fais pas. Après il y a manière et manière et je le redis certaines sont plus que détestables mais il me semble tout de même que quelque soit la manière il y a une mécanique persistante.

    Bref, je vais éviter de trop diverger cette fois ci, oui relativisons le QI, non ne la ramenons pas sur notre QI pour nous mettre en valeur ou écraser les autres.

    PAR CONTRE, être gêné de parler d'une de nos caractéristiques que l'on apprécie au demeurant en soi-même (dans la majeure partie des cas), ça me fait de la peine. Ca dit aussi que tout n'est pas acceptée et/ou que la confiance en soi n'est pas suffisante pour l'exprimer. Etant bien compris que ça ne se contrôle pas, je me dis pourtant que ça devrait être une fierté de dire je suis comme ci ou comme ça (et quoique ce soit) lorsque ce sont des choses positives.

    En bouclant sur ton article sur la pudeur, il y a une différence profonde entre la pudeur intime et personnelle (je ne ressens pas le besoin d'en parler) et celle qui vient ("imposée") de l'extérieur (la séparation n'est d'ailleurs pas si simple, parfois ce que l'on croit être personnel a été apporté par l'extérieur, voir nos autres débats sur ce qu'on est).

    Je tolère assez mal cette dernière pudeur imposée celle qui dit: "surtout ne brille pas trop" et "surtout ne t'aime pas trop toi-même".

    Nous serions tellement plus heureux en nous aimant profondément plus et en l'affirmant (toutes proportions gardées, cela va sans dire, il ne s'agit pas de se trumpiser).

    Voilà, pour un sujet qui me touche, j'ai trop de bons amis qui souffrent profondément d'un manque de confiance en eux et s'auto-censure intérieurement et extérieurement dans l'expression de leur potentiel.

    Florent

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    1. Bonjour Florent. J'étais très curieuse de connaître ta réaction face à cette épisode de ma vie, je suis bien contente de lire ton commentaire :-)

      Il n'est pas toujours facile de savoir comment bien réagir. Il faut avoir un comportement socialement accepté et une réaction qui nous convienne personnellement. C'est peut-être un manque de confiance, mais je préfère largement qu'on me reprenne parce que je n'ai pas assez confiance en moi qu'on me reproche d'être orgueilleuse. La première situation est beaucoup plus facile à tenir ! Alors, surtout sur ce blog qui est publique, je préfère dire que j'étais gênée de dire tout fort mon QI.

      Et puis plus discrètement, que pour ceux qui sauront lire ces quelques mots, j'avoue que je suis très fière de mon rang intellectuel. J'avoue qu'entendre me poser la question c'est un peu une consécration. Peut-être qu'au fond je n'ai pas "volé" mon résultat au test, il doit bien y avoir des petits signes puisqu'on me demande.

      Pour ce qui est des deux derniers paragraphes : je le pense profondément, le QI ne dit pas tout, il ne dit même pas grand chose dès lors qu'on l'a apprivoisé. Il ne fait pas de nous (je le crois, ce n'est pas démontrer scientifiquement ^^) autre chose qu'un être humain. Je me sens "plus" : plus humaine, plus connectée, plus en position d'observatrice. Je sais plus. Mais cela ne suffit pas à me différencier.

      Et ce ballon-QI que j'ai promené quelques instants derrière moi, je suis vraiment contente qu'il soit re-dégonflé. Parce que qui, mais QUI, c'est ce que ça signifie ? Je ne veux pas qu'il soit publique, je ne veux pas qu'on en pense, qu'on en fasse, n'importe quoi. Il m'appartient, je le gère comme je veux en moi-même.

      Par le "QI ne dit pas tout", je veux aussi mettre en garde ceux qui pensent pouvoir me connaître (ou connaître d'autres HP) à travers lui.

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  3. Bonjour Céline!

    J'ai commencé à lire ta réponse et vraiment je bloque et je saute sur ma chaise (en douceur quand même :) et puis c'est bon pour éviter les escarres ! ;)). Je pense que c'est le même ressort (jeu de mot primé! :) ) qui m'a fait réagir dans ton article racine. Je me sens obligé de redire que je bloque à cause d'une conception forte chez moi et que je n'y mets rien d'autre qu'un désaccord fondamental sur un de mes chevaux de bataille donc même si j'y mets beaucoup d'énergie ne le vois pas comme autre chose que le fait que ça me touche :)

    Je bloque donc sur

    "Il n'est pas toujours facile de savoir comment bien réagir. IL FAUT avoir un comportement socialement accepté et une réaction qui nous convienne personnellement".

    GRAVE pour une réaction qui nous convienne personnellement mais sur le "il faut avoir un comportement socialement accepté". Pas d'accord DU TOUT (dans les limites de la loi et du respect de la sphére personnele de l'autre où je n'ai pas à rentrer) mais pas DU TOUT. Et toi non plus d'ailleurs quand tu vis sur les routes en combi avec ta fille toute l'année au demeurant non?

    "je préfère largement qu'ON ME REPRENNE parce que je n'ai pas assez confiance en moi qu'on me reproche d'être orgueilleuse"

    Alors là c'est NON :) Je vais parler de moi et de ce que je ressens /pense dans ce cas de figure :

    Personne ne me reprend (je parle bien du terme reprendre pas du terme "émettre un avis différent" ou "contredire" "débattre" mais bien REPRENDRE). J'ai ma vérité et personne n'a à se donner l'autorisation de me reprendre avec la sienne (et je ne reprends personne). Sinon massacre :).

    Par exemple, si quelqu'un pense que je suis orgueilleux, d'abord ça le regarde et c'est sa pensée propre, ensuite il a certainement un peu raison (qui ne l'est pas ne serait ce qu'un peu?) et enfin ça ne va pas me remettre en cause. Bref, ça me renvoit de la neutralité bienveillante si c'est dit gentiment (oui c'est une piste de réflexion suis je orgueilleux?) et remettage en place prompto si c'est dit avec condescendance ou sourcils froncés. Dans tous les cas, c'est une piste de réflexion intéressante mais ça ne me remet pas en cause et ça ne me touche d'un point de vue émotionnel.

    Mais GRAVE pour la fierté d'être HP, SUPER grave c'est carrément cool!!! Et je suis bien d'accord avec toi c'est ton ballon et t'en fais ce que t'en veux :) Et bien d'accord aussi qu'on ne se réduit aucunement à ce nombre!

    Mais je disais quelque chose d'un peu différent. Je parlais de ce que le socialement acceptable voudrait que tu fasses de ton ballon. Et je continue à penser que celui là on l'emmerde! :)

    Florent

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    1. Salut Florent !

      Je pense bien comprendre ce qui te fait bondir sur ta chaise. Je me suis sûrement mal exprimée avec mon "il faut". Disons plutôt que "j'ai envie d'avoir un comportement…", pour me simplifier la vie. Comme tu l'as dit, j'ai déjà plusieurs petites batailles personnelles à mon actif —mon mode de vie, l'éducation sans école, … et c'est un fait : pour le moment, je ne veux pas me rajouter celle-ci, car cela en serait une pour moi. Je suis bien loin du point "on l'emmerde" ^^

      Quand une personne pense que je suis orgueilleuse (ça arrive souvent, et il faut bien le dire : je le suis), je me sens reprise comme si quelqu'un me voyait la main dans un sac pour voler un abricot. Je pourrais bien évidemment le prendre autrement, mais je n'en suis pas encore là, même si j'y viens doucement.

      Pour ce qui est du QI, tellement peu de personnes savent ce que cela signifie. Mais beaucoup croient des choses à son propos. Voilà une autre bataille que je ne mène pas : défaire ces fausses vérités. Si je cache un jour mon QI, c'est uniquement pour ne pas être associée à ces croyances.

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Céline.

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